L’ETHIQUE DANS L’ARBITRAGE

La Fédération des Centres d’Arbitrage, dès sa création, a pris conscience qu’il fallait mener une réflexion sur l’éthique dans l’arbitrage.

Son Conseil d’Administration a confié au Centre de Médiation et d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Franco-Arabe le soin de mettre au point une Charte éthique.

Après que ce projet a été mené promptement et après un échange très riche au sein du Conseil d’Administration, la Charte éthique a été adoptée et mise en application à compter du 1er janvier 2014. Elle constitue, à ce jour, la seule source de cette nature à laquelle un acteur de l’arbitrage peut faire appel pour les besoins d’une procédure dans laquelle il est impliqué.

Dans le prolongement de ces travaux normatifs, il a été confié à Jalal EL AHDAB, Vice Président du Conseil Scientifique du Centre de Médiation et d’Arbitrage de la CCFA, le soin de rédiger un article sur le thème « L’éthique dans la conduite et la gestion de l’arbitrage » destiné à paraitre dans l’ouvrage collectif édité par la Fédération des Centres d’Arbitrage.

Cet article consacre l’approfondissement d’une réflexion scientifique sur la dimension éthique de l’arbitrage.

Il aborde la question sur le plan de l’exigence morale que toute procédure arbitrale suppose, mêlant une réflexion qui se veut, par définition, à la frontière du droit, de la morale et parfois même de la philosophie, mais sans vouloir à aucun moment tomber dans une forme de moralisation.

Cet article est un véritable essai qui englobe tous les acteurs de l’arbitrage reprenant la ligne de conduite qui avait été suivie lors de l’élaboration de la Charte éthique offrant un cadre, entre droit et éthique, pour tous les centres adhérents à la Fédération souhaitant s’en doter pour tous les aspects des procédures arbitrales conduites sous leurs auspices.

Les écrits aussi brillants soient-ils, comme cet essai sur l’éthique dans la conduite et la gestion de l’arbitrage rédigé par le Docteur Jalal EL AHDAB, doivent se vivre de l’intérieur par tous les acteurs de l’arbitrage, y compris l’arbitre, dont la conscience est aussi interpellée pour tendre vers le degré d’exigence qu’impose cette noble façon de rendre la justice.

Que le Docteur Jalal EL AHDAB soit remercié pour ce travail remarquable.

Patrice MOUCHON,
Président du Centre de Médiation et d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Franco-Arabe,
Administrateur de la Fédération des Centres d’Arbitrage

L’ETHIQUE DANS LA CONDUITE ET LA GESTION DE L’ARBITRAGE

Par Jalal El Ahdab[1]*

 

« La vertu d’un homme libre se révèle également grande à éviter les dangers qu’à les surmonter » Spinoza, Ethique

« Une bonne conscience ne nous excite pas à notre perte mais toujours à notre salut » Spinoza, Traité théologico-politique

 

1.    Comment aborder un sujet, certes à la mode[2], qui se propose de confronter morale et affaires – puisque la première est l’alter ego de l’éthique et, les secondes, le terrain naturel des litiges arbitraux – sans paraître, moralisateur, provocateur ou sans heurter les âmes sensibles ? On le sait, argent et morale ne font pas souvent bon ménage : d’un côté, l’arbitrage serait associé aux affaires, aux intérêts, au secret, aux réseaux et suppose flexibilité, pragmatisme, réalisme et compromis (certains parleront de compromissions), quand, de l’autre, l’éthique impliquerait une forme de désintéressement, de la transparence, du détachement par rapport aux contingences matérielles, une certaine intransigeance et une faculté de discernement clair et tranché entre ce qui est « bien » et ce qui n’est pas acceptable. Il faut dire aussi que l’arbitrage, ou plutôt « l’affaire », Tapie est passé par là, sans vraiment contribuer à réconcilier toutes ces notions. En fait, il y a ici autant d’approches du sujet qu’il y a de sens des mots « éthique » et « gestion ».

Si l’on pense au premier d’abord, l’éthique, on songerait spontanément aux mœurs et notamment aux mœurs de l’arbitrage[3] et l’on observerait, amusé, comment évoluent parfois des rapports intimes, voire très intimes, dans le monde feutré de l’arbitrage, pour aboutir à des situations aussi salaces que cruelles[4]. Mais ce ne seront pas ces affaires de « mœurs arbitrales » qui seront examinées ici. Si l’on se tourne vers le second, la gestion, on pense inévitablement aux finances, y compris publiques, dont on nous dit aujourd’hui justement qu’elles sont, en pleine crise, en quête de moralisation[5]. Et ces gestions difficiles, parfois à la frontière de la légalité ou même de la corruption[6], peuvent précisément donner lieu à des litiges arbitraux[7] ; parfois même c’est la morale religieuse qui est soumise à l’arbitrage[8] et l’on sait même à présent que l’arbitrage, loin d’être simplement le cadre de règlement de litiges en rapport avec la fraude, peut en devenir même l’instrument privilégié[9]. Mais ce ne sont pas non plus de ces rapports « moraux » entre arbitrage et fraude dont il sera question ici.

2.    S’il est vrai que l’on ne « gère » ou conduit plus aujourd’hui seulement un budget ou une entreprise, mais aussi une équipe, une carrière, parfois même son stress, voire des risques, y compris juridiques[10], pénaux[11] ou arbitraux[12], on peut tout de même s’interroger : l’éthique se gère-t-elle comme un instrument, au service de l’arbitrage? L’éthique est-il un instrument dans un tableau de bord plus large, permettant d’optimiser la conduite de l’arbitrage ou est-elle une fin en soi, un objectif à respecter dans l’intérêt « général » de l’arbitrage ? Le thème central ici abordé touche plus fondamentalement au comportement procédural des acteurs de l’arbitrage, à leurs rapports entre eux, aux valeurs qu’ils sont sensés partager et même véhiculer, selon ce que l’on pourrait appeler une « philosophie de l’arbitrage »[13], c’est-à-dire une justice alternative à la justice étatique et au contentieux judiciaire, où la conduite des débats devrait se dérouler dans des conditions (idéales) de respect mutuel et d’harmonie générale, malgré les différences culturelles et le climat conflictuel qui innervent, par essence, tout contentieux. Certes, presque inévitablement, « le litige exacerbe les intérêts et peut aveugler la morale »[14], mais tout l’enjeu ici est de savoir comment l’éthique peut être prise en compte dans l’administration d’un arbitrage pour tempérer les antagonismes et les luttes d’intérêts, et pas seulement entre les parties, et, pour, in fine, faire que l’arbitrage devienne un succès, au-delà même de l’issue du litige sous-jacent.  L’éthique (du grec êthikos : la morale, les mœurs ; mais aussi d’éthos : coutume/habitude) renvoie spontanément à la morale, en ce sens qu’elle traite des règles de conduite et habitudes socialement vertueuses, c’est-à-dire celles que nous dev(ri)ons suivre pour vivre en harmonie sociale. Mais c’est aussi un terme qui se spécialise dans un usage proprement philosophique et qui prétend évaluer l’action et demeurer sur le terrain de la théorie là où la morale se voudrait avant tout pratique[15]. Appliquée à l’arbitrage, on pourrait dire que l’éthique arbitrale regroupe un ensemble de valeurs et de comportements que les différents protagonistes d’une procédure devraient respecter (ou faire respecter) pour préserver l’arbitrage de ses abus[16], c’est-à-dire comme une justice alternative, intègre et pérenne et dans laquelle ceux qui y recourent placent leur confiance. Mais s’agit-il d’une éthique arbitrale, comme la science disposerait par exemple de sa « bioéthique », ou de l’éthique dans l’arbitrage ?

3.    Il n’est pas certain que l’on puisse partir de l’idée que le mot « éthique » accepte la particularisation qu’opère l’article indéfini « une ». Certes, son sens l’autoriserait – à chacun ses valeurs, sa morale, son éthique, serait-on tenté de dire – car les appréciations morales appartiennent à un terrain spirituel souvent très subjectif, varient d’une conscience à l’autre et, en fait, peuvent être influencées par le climat de l’époque[17]. Mais ce relativisme aurait un prix puisqu’on en serait arrivé à un nivellement moral, une morale « permissive » diraient aujourd’hui les nostalgiques. Peut-être faudrait-il plus parler aujourd’hui de « morale de discussion » qui ne commande ou condamne plus, mais propose des pour et des contre, sans jamais véritablement définir une ligne rouge fixe et donc sûre. Mais il est tout aussi vrai que l’exigence éthique perdrait toute autorité si elle n’était pas détachée de la défense ou de l’expression des intérêts particuliers de chacun et donc d’une conception subjective. Ce qui est d’autant plus exact appliqué à l’arbitrage, justice privée et internationale. Il n’est donc pas question ici de savoir si l’on peut se passer d’une éthique dans l’arbitrage mais bien de savoir en quoi l’éthique est nécessaire, non pas juste pour conduire au mieux un arbitrage, mais parce qu’elle apparait indispensable à l’institution arbitrale et à son salut (certains diraient son succès).

4.    Il pourrait sembler pour le moins paradoxal que, à l’heure où le droit semblait s’être mis en retrait de la morale – l’un se démarquant de l’autre par le fait que la règle juridique est hétéronome, alors que la règle éthique serait autonome et n’aurait de sanction que dans la voix de la conscience – tout se passe au contraire et désormais comme si le droit était encore « en quête de morale »[18], voire de « bon sens », et comme si le droit de l’arbitrage ne se contentait plus de sanction, si sanction il y a, mais avait, à nouveau, besoin d’éthique pour retrouver ses repères et un nouveau souffle. Il est vrai que la judiciarisation croissante de l’arbitrage international, que certains considèrent « en panne », lui a imposé un véritable carcan procédural et y a exacerbé les tensions, peu compatibles avec son esprit d’origine, c’est-à-dire une justice alternative marquée de souplesse, de liberté et d’autonomie. Car, à y regarder de plus près, cette reconquête « morale » n’est pas si illogique puisqu’il semblerait que le besoin d’introduire de l’éthique dans l’arbitrage réponde en fait à une aspiration plus large visant à transcender cette accumulation paralysante de règles pour retrouver une philosophie oubliée de l’arbitrage, c’est-à-dire des normes de conduite, à la fois simples et saines. Comme on a pu parfaitement l’écrire, « avec quelques gouttes de morale, le droit s’assouplit, c’est comme de l’huile dans les rouages »[19]. Si l’éthique est donc une nécessité pour huiler, et donc mieux gérer, l’arbitrage, comment articuler utilement les sphères juridiques, pratiques, éthiques ou même philosophiques ? Comment faire effectivement rimer, dans l’intérêt de la justice arbitrale, efficacité, légalité et moralité ? Comment faire converger ce qui est éthique, c’est-à-dire « ce qui se fait ou ne se fait pas » (ce qui est « appropriate » dirait un juriste anglais) avec ce qui est à la fois juste et efficient ?

5.    On explique traditionnellement qu’il existe des différences d’approche significatives entre le moraliste, qui édicte la règle morale et décrèterait par exemple « sois loyal dans l’arbitrage », le philosophe, qui cherche à comprendre le fondement de la règle (d’où vient cette loyauté arbitrale ?) et veut comprendre pourquoi on la respecte et, enfin, le juriste qui cherche à définir de façon pratique et systématique les critères de la moralité (dans l’arbitrage, qu’est-ce qu’être loyal ?), à la délimiter de sa sphère juridique (loyauté juridique versus loyauté morale ?) et en tirer toutes les conséquences que le droit impose (si et comment une partie déloyale dans une procédure arbitrale peut-elle être sanctionnée ?). Si l’approche juridique prévaudra ici, presque naturellement, il sera question aussi de morale et de philosophie, puisque, par définition, l’éthique est sensée être une sphère sur laquelle le droit n’a pas prise ou qui le dépasse[20]. Car, on le verra, si l’éthique semble être unanimement ressentie comme une nécessité, ses fondements philosophiques peuvent varier sensiblement (morale de l’intérêt, du sentiment ou du devoir), ce qui n’est pas sans conséquence sur la perception et la réalité des obligations des uns et des autres dans l’arbitrage : les arbitres, les conseils, les parties, les témoins, les centres d’arbitrage, les juges … L’enjeu sera alors d’articuler ces règles juridiques avec la sphère éthique, et cette somme de règles arbitrales avec l’éthique arbitrale.

6.    Il n’est pas question ici de repousser à l’infini les frontières ténues, et parfois contradictoires, de l’éthique pour inclure, toujours et systématiquement, une composante « morale » dans l’arbitrage, avec le risque d’un manichéisme (ceci est jugé « bien », cela ne l’est pas) et le danger de sous-estimer une inévitable subjectivité lorsqu’il faut interpréter ce « voyant rouge » moral dans le tableau de bord arbitral. Il ne s’agit donc pas ici d’exposer quelles seraient les lignes à ne pas franchir et encore moins de faire une liste exhaustive des comportements qui pourraient être jugés comme « immoraux », déviants  ou abusifs[21] : l’arbitre devrait tout dévoiler, il devrait s’interdire de parler unilatéralement en tout circonstance au conseil d’une partie, même dans un cadre sans rapport avec l’arbitrage; l’avocat ne pourrait pas mentir ou devrait « avouer » lorsqu’il sait que son client dissimule la vérité, il ne saurait « préparer » son témoin, il faudrait éviter les récusations ou recours abusifs… Trop de morale tue la morale et cet article ne se veut certainement pas affirmatif et encore moins moralisant: il procédera plutôt par voie interrogative, par quête et tâtonnement, pour chercher le juste équilibre entre la pureté des exigences éthiques associées à toute idée de justice et la réalité du monde économique que l’arbitrage se propose de réguler et de servir. Car tout ici est affaire de zone grise et de nuance, entre le licite et l’acceptable, entre ce qui est écrit et ce qui ne l’est pas, entre le dit et le non-dit, entre la théorie et la pratique, l’apparence et la réalité. Ainsi, l’importance de la règle éthique ne doit être ni niée ni surestimée : elle doit être prise en compte à sa juste mesure pour que chacun se sente contraint d’y répondre « en son âme et conscience », l’essentiel étant de savoir à partir de quel moment un comportement peut être considéré non pas comme la résultante d’une obligation juridique préexistante mais comme la manifestation d’un devoir moral qui s’impose à nous avec évidence et sans qu’il soit besoin de l’écrire dans du marbre.

7.    Si l’article ne se veut donc certainement pas moralisant, il ne s’agit pas non plus de basculer dans la sphère du droit et de lister les exigences juridiques qu’impose la mission d’arbitre ou encore le cadre déontologique – déjà existant – dans lequel devrait évoluer le conseil de telle ou telle partie à l’arbitrage. Non, notre approche sera de s’interroger sur ce nuage éthique qui plane autour du cadre arbitral, d’approfondir les devoirs éthiques que sous-tendent les obligations juridiques et arbitrales et de soulever les questions pratiques – les cas de conscience pourrait-on dire – que se pose tout acteur de l’arbitrage face à des problèmes concrets que sous entend la conduite de cette procédure. Si la science a son éthique – la bioéthique – et sait comment la gérer (un « Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie et la Santé »), si l’art se distance de  la morale – le Beau n’ignore-t-il pas toute idée de Bien ou de Mal ?– et si le droit puise souvent dans la morale[22]  et la religion[23] pour établir la règle juridique, il reste encore à l’arbitrage à inventer sa propre relation à la morale, son propre rapport à l’éthique.

8.    L’intérêt fondamental du sujet, on le pressent, provient du fait qu’il est impossible d’appréhender l’arbitrage sous le seul prisme juridique, c’est-à-dire comme une justice où la logique conflictuelle prédomine, sans reconnaître qu’il correspond aussi à une réalité économique indissociable, à savoir un marché (i) où s’affrontent et se rencontrent une offre d’arbitrage (l’arbitre est certes un juge, mais il est aussi rémunéré selon des prestations qu’il propose, parmi d’autres, au marché[24]) et une demande (des parties, en fait leurs conseils, qui se trouvent souvent appartenir au même cercle que les arbitres et à la recherche de ceux d’entre eux les plus susceptibles de répondre à leurs « besoins ») ; (ii) où les acteurs sont en concurrence permanente et farouche (entre arbitres[25], voire même entre conseils et arbitres, puisque ce sont souvent les mêmes individus qui portent tantôt cette casquette tantôt telle autre, selon les arbitrages) et donc soumis à tension, économique comme morale ; (iii) où les alliances et ententes peuvent parfois prévaloir aux dépens des règles élémentaires du libre jeu de la concurrence ; (iv) et où finalement l’on peut parfois ressentir le besoin d’une « autorité de la concurrence »… qui n’existe précisément pas puisque tous ces acteurs évoluent dans un marché par essence libre, très peu réglementé et qui se voudrait même autorégulé. Mais à l’heure où l’autorégulation ne semble plus suffire et où l’arbitrage a peut-être perdu une partie de la confiance que les usagers avaient placée en lui, un nouveau souffle est recherché. Cette nouvelle légitimé semble passer par la quête d’une véritable moralité, laquelle doit interroger tous les acteurs de l’arbitrage, sur leur fonction, leur place, leur rôle et leur intérêt dans le processus arbitral, dans ce que l’on pourrait appeler une « bonne gouvernance » de l’arbitrage ou encore une « bonne conduite de l’arbitrage ». Sans esprit inquisitoire, on interrogera donc en premier les arbitres (I), puis les parties et leurs conseils (II) et enfin les autres acteurs, désormais aussi incontournables, de l’arbitrage que sont les centres, les juges et les nouveaux tiers-financeurs (III). Peut-être qu’ainsi l’arbitrage retrouvera-t-il, à défaut de la morale, le moral ?

1. L’ARBITRE : D’UNE MISSION ARBITRALE A UNE EXIGENCE MORALE

9.    L’art « moral » de juger. – C’est une évidence que l’arbitre est au premier chef concerné par l’éthique : si sa mission même est de juger, la manière – qu’on veut irréprochable – avec laquelle il rend sa sentence est également l’objet de jugements, et pas seulement de la part des parties. A bien y réfléchir, le devoir éthique des arbitres paraît même inhérent à leur mission juridictionnelle et même contractuelle (n’impose-t-on finalement pas aussi aux cocontractants un devoir de bonne foi dans l’exécution de leur contrat ?). Même si, comme juges, ils ne décident pas en principe en équité, mais par référence à des règles de droit, les arbitres se doivent de rendre une décision juste, en toute indépendance et impartialité, au terme d’une procédure équitable, menée dans le respect des principes du contradictoire, de l’égalité entre les parties, mais également de la mission que celles-ci leur ont confiée. Ici, méthodique et éthique, arbitral et moral, ne peuvent que rimer.

Ceci étant dit, s’il est, plus qu’un autre, confronté au questionnement éthique, c’est en fait pour une autre raison. L’arbitre est, on le sait, à la fois un être juridictionnel et un être contractuel[26], ce qui le conduit à être constamment confronté à des cas de conscience, à une tension continue entre, d’une part, la nécessité de se placer, en tant que juge, au-dessus des débats partisans et des contingences du litige, et, d’autre part, l’envie de plaire et de satisfaire, en tant que contractant, c’est-à-dire comme prestataire de services qui aspire au renouvellement de son contrat et au paiement de ses honoraires. Cette tension donne lieu à des problématiques éthiques, auxquelles le droit ne peut pas, à lui seul, répondre.

10. Une gradation d’arbitres ? – L’arbitre est certes en première ligne dans la conduite éthique de l’arbitrage mais ce sont en fait tous les arbitres : qu’il soit arbitre unique, président d’un tribunal arbitral ou co-arbitre, qu’il ait été désigné par une partie, par d’autres arbitres ou par une autorité de nomination, un arbitre a le devoir de respecter une certaine éthique avant, pendant et même après l’arbitrage[27]. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette affirmation, souvent entendue, jamais écrite, qu’un président devrait être « encore plus » neutre que ses co-arbitres, et mieux rémunéré que ces derniers, notamment parce qu’il serait le principal rédacteur de la sentence. Est-ce fondé ? Si des considérations pratiques et pragmatiques ont pu expliquer cette évolution, « par la force des choses », il reste que cette réalité ignore aussi des règles, morales notamment, et des situations plus nuancées: comment justifier, sur le principe du moins, une échelle ou même des degrés dans la neutralité ? Et quid du co-arbitre qui prend la plume pour rédiger la sentence (ou, dans le cas où celle-ci est rédigée par les trois arbitres à « parts égales ») ou qui, par son autorité, exerce une influence déterminante sur le reste du tribunal arbitral, aux dépens de son président ?

11. Quelles sources ? – Compte tenu de la variété des sources des règles juridiques, d’où peuvent découler des règles éthiques et qui peuvent s’imposer dans un arbitrage – conventionnelles, légales[28], jurisprudentielles, contractuelles, règlementaires/institutionnelles, coutumières, pratiques[29] – on peut pressentir la difficulté et la charge qui sont celles de l’arbitre à l’heure d’administrer la conduite de l’arbitrage, de la « gérer », tant en ce qui les concerne personnellement, que, plus généralement, pour ce qui concerne les relations entre les parties et leurs conseils.

12. Indépendance et impartialité : de la sphère juridique à la sphère morale. – On ne peut pas ne pas commencer ici par ce qui constitue le « cœur » de l’arbitre, puisque c’est bien lui qui donnera le ton, éthique pourrait-on dire, de l’arbitrage[30]. Et le cœur de l’arbitre, c’est son indépendance. Etre indépendant et impartial relève en effet de l’ « essence » (au sens propre du terme) de la mission juridictionnelle de l’arbitre et constitue des exigences – juridiques et éthiques – qui lui sont consubstantielles : il s’agit de conditions établies dans la très grande majorité des droits nationaux[31] et des règlements d’arbitrage[32] qui semblent donc pouvoir être considérées comme des principes fondamentaux du droit de l’arbitrage, pour lesquels aucun compromis ne saurait être accepté[33]. Pourtant, ce sont bien ces obligations qui sont aujourd’hui la source d’abondantes contestations et, in fine, d’une jurisprudence pléthorique. S’il n’est bien entendu pas question ici de revenir sur ces questions, qui dépassent largement le cadre de cet article, il suffira juste, avant de rappeler leur définition, de constater que la diversité des situations qu’elles mettent en exergue relève toutes autant du domaine jurisprudentiel et donc de la sanction juridique (récusation de l’arbitre et annulation de sa sentence) que de la sphère morale (intégrité et transparence de l’arbitre).

13. L’impartialité, véritable exigence éthique ? – L’indépendance[34] se définit comme l’absence de tout lien d’affaires ou personnel, entre l’arbitre et tout protagoniste de l’arbitrage (parties, conseil, co-arbitre et même centre d’arbitrage) L’impartialité, elle, renvoie à la fois à l’absence de déséquilibre dans le traitement des parties, mais aussi et surtout à une indépendance d’esprit, notamment vis-à-vis de toute pression externe, et par l’absence de préjugé (ou même d’apparence de préjugé) au sujet des faits et des questions de droit qui lui sont soumises. Contrairement à l’indépendance, qui a une dimension objective, l’impartialité d’un arbitre est difficile à établir, car plus subjective : si la première se vérifie plus aisément par des données plus ou moins externes et disponibles, la seconde est davantage un état d’esprit ou une tendance psychologique de l’arbitre, dont le contrôle est par définition toujours plus délicat[35].

De ce point de vue, on le perçoit bien, peut-être plus encore que pour l’indépendance, l’exigence d’impartialité est au point d’intersection entre la sphère juridique et la sphère morale[36] : ici, pour l’arbitre, gérer l’éthique, c’est mettre en corrélation sa conscience individuelle avec des « signes extérieurs » d’impartialité, sa conviction intime qu’il n’a aucun préjugé, ou ne peut donner l’apparence d’un préjugé au sujet du litige, avec ce qu’il révèle aux tiers. Il convient ici d’ailleurs de s’arrêter sur la différence de traitement entre l’exigence d’indépendance et celle d’impartialité : si le défaut de la première est de plus en plus lourdement réprimé aujourd’hui par les tribunaux, la sanction jurisprudentielle en matière d’impartialité se fait rare. Ne serait-ce qu’un problème de preuve ? Sans doute. Mais on ne peut éviter de s’interroger sur le contraste saisissant – et éthiquement problématique – entre, d’un côté, la tolérance de la communauté arbitrale qui admet assez aisément qu’un arbitre (partial ?) puisse être désigné sur la base de ses positons écrites passées et qui intéressent telle ou telle question – de fait ou de droit – sous-jacente à l’affaire pour laquelle il va officier et, de l’autre, l’intransigeance vis-à-vis des arbitres dont l’indépendance est contestée en raison de l’existence, parfois ténue et artificielle, de liens avec une partie et/ou un conseil. Comment aussi expliquer qu’on admette, plus en pratique qu’en théorie[37], qu’un co-arbitre puisse être « moins » impartial qu’un président ? Il y a ici comme deux poids, deux mesures, que la pratique arbitrale et surtout le droit de l’arbitrage ne sont toujours pas parvenus à résorber.

14. Révélation juridique et pudeur éthique. – En définitive, il faut avouer que ces questions – indépendance et impartialité – se ramènent souvent aujourd’hui à l’obligation – et à l’étendue – de révélation, devenue l’instrument juridique de référence[38], une arme aussi fatale que pratique, mais aussi quelque peu réductrice. Du point de vue éthique, cette obligation de révélation pose à son tour le problème de savoir jusqu’où l’arbitre doit « se déshabiller » pour bien donner « l’impression » de ne rien cacher et donc de n’avoir rien à se reprocher à la lumière du litige qu’il doit trancher. La recherche de légitimité par l’arbitre aux yeux des parties ne le conduit-elle pas à se préoccuper par trop d’une transparence démesurée qui pourrait au final saper son autorité, ou au moins la fragiliser ? Car, on le sait, l’autorité, au sens noble du terme, consiste en un savant mélange entre un pouvoir coercitif (ici juridictionnel), qui s’impose, et le respect moral qu’une personne dégage et auquel on adhère de plein gré (c’est ce que l’on pourrait appeler « forcer le respect »). C’est vrai de l’autorité politique, mais ça l’est aussi pour l’autorité arbitrale : la nécessité pour l’arbitre de trouver le juste équilibre en matière de transparence est donc en fait tout autant un enjeu politique (de pouvoir et d’autorité) qu’un enjeu éthique. Si dans nos sociétés contemporaines, la transparence devient peu à peu la règle dominante, la retenue et la pudeur, propres à la fonction juridictionnelle de l’arbitre, ont, elles aussi, leur vertu, lorsqu’elles ne sont pas tout simplement des vertus morales elles-mêmes. Il est vrai que lorsque l’arbitre s’interroge sur le fait de « trop en dire » ou de « ne pas assez en faire», son cœur balance. Mais alors, puisqu’il est question de passions, peut-il, et même doit-il, faire état d’une inimitié personnelle particulière à l’endroit, non pas d’une partie, mais du conseil d’une partie, comme pouvant affecter son impartialité ? Cela se discute, dans un sens comme dans un autre.

15. Fondements et lectures philosophiques. – Puisque la question de la révélation se situe, elle aussi, au croisement des obligations juridiques de l’arbitre et des devoirs que lui impose sa conscience, une incise d’ordre philosophique s’impose ici pour tenter de comprendre ce qui, au fond de lui – c’est-à-dire en fait éthiquement et donc en dehors du droit – « force » l’arbitre à révéler les circonstances entourant son indépendance et son impartialité, et au fond à « se révéler » : c’est la question du fondement moral de ses obligations, y compris de révélation. Traditionnellement, les exigences de la morale s’expliquent de trois manières : la morale dite de l’intérêt[39], qui veut qu’une personne n’agisse d’une façon extérieurement conforme à la morale que pour satisfaire, en fait, son intérêt bien entendu, une thèse dont certains processualistes se sont faits l’écho en matière d’arbitrage[40] ; il y a également la morale du sentiment[41],  qui fait jaillir spontanément le devoir éthique de notre nature humaine et de cet appel du héros présent en chacun de nous, une morale à laquelle, là encore, la communauté des arbitres n’est sans doute pas insensible[42] ; et, enfin, il y a la morale du devoir, qui dépasse sans doute les deux précédentes, selon laquelle l’exigence éthique se présente à la conscience[43] simplement comme une obligation qui s’impose, même si elle devait être contraire à notre intérêt ou à nos sentiments.

Mais, dans cette morale du devoir, il existe deux approches. L’une est sociologique – durkheimienne plus précisément – et veut que, lorsque l’on se réfère à la conscience, on vise en fait la conscience collective, c’est-à-dire l’intérêt social : s’il y a un devoir de conscience, ce n’est pas du point de vue du seul sujet de droit, mais c’est l’obligation éthique qui résulte de ce que l’individu est aussi un « bon père de famille »[44] qui rend des comptes au tissu social auquel il appartient. Dans cette optique, on retrouve la morale de l’intérêt, déjà évoquée, car ce qui ici « oblige » l’arbitre, c’est la conscience qu’il appartient à une communauté de praticiens et que son comportement, qui se doit d’être exemplaire et conforme à l’intérêt général[45], sera jaugé, et même jugé, par ses pairs. L’autre approche, plus exigeante, est kantienne : le devoir d’agir conformément au Bien ne vient pas de la société car il n’est pas étranger à la volonté personnelle qui nous demande d’obéir à notre propre raison selon des impératifs qui se veulent aussi catégoriques qu’universels (par exemple, ne jamais considérer autrui comme un moyen, un instrument, mais toujours comme une fin). Dans cette logique, l’arbitre est animé par une exigence éthique très élevée qu’il n’est pas question de « gérer » mais qui s’impose à lui, et à tous les autres acteurs de l’arbitrage, comme un impératif avec lequel il est impossible de transiger : c’est, l’impératif, absolu, de justice qui s’impose à lui comme juge, privé certes, mais comme juge. On le voit, cette philosophie idéaliste du devoir éthique pourrait imposer, dans le domaine arbitral, un degré de transparence extrême, sans doute irréaliste, rejoignant l’écueil déjà mis en évidence précédemment[46]. Entre un devoir moral « collectif » qui tire sa source de la communauté arbitrale à l’égard de laquelle l’arbitre se sent tenu et un devoir moral catégorique, aussi exigeant que théorique et faisant de lui cet être irréprochable au service du Bien, il apparaît nécessaire pour l’arbitre de trouver, là encore, la juste mesure dans ce qui fonde son obligation éthique.

16. La démission, un acte éthique. – L’autre traduction éthique des exigences d’indépendance et d’impartialité pourrait aussi consister pour l’arbitre à refuser sa désignation ou à se déporter[47] s’il considère que son impartialité ou son indépendance est contestable ou ne répondrait plus aux conditions nécessaires à la conduite d’un procès serein et non empreint de suspicion, sauf à ce que les parties dûment informées des circonstances s’entendent néanmoins, même implicitement, pour que l’arbitre puisse accepter ou continuer sa mission. Dès lors, avant même la survenance d’un contentieux, une conduite éthique d’un arbitrage consisterait pour l’arbitre, au-delà de la révélation, à agir par prévention, notamment pour éviter un climat encore plus conflictuel ou tendu, non seulement à son égard mais aussi entre les parties, de manière à permettre à l’arbitrage de se dérouler sereinement – de commencer ou de continuer – hors sa présence et de sorte que la finalité ultime de sa mission – et donc la mission de celui qui le remplacera – puisse être remplie : trancher le litige en rendant la justice. Cette gestion préventive de l’éthique ne paraît toutefois s’imposer que dans l’hypothèse où l’arbitre est convaincu, en son âme et conscience, que sa nomination ou son maintien serait contraire à l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Si, au contraire, la mise en cause de l’arbitre apparaît davantage instrumentalisée ou motivée par des considérations stratégiques ou opportunistes des parties, il n’est pas certain que l’arbitre doive considérer qu’il lui appartient de démissionner. Dans ce cas, l’exigence éthique de retenue s’impose bien plus à la partie qui cherche à récuser – à déstabiliser – l’arbitre en cause[48]. Et plutôt que préventive, la gestion éthique de cette situation supposera sans doute une sanction, au nom de l’efficacité de l’arbitrage. La frontière entre les deux hypothèses est certes ténue et délicate, mais c’est une science de l’arbitrage et de l’éthique que de savoir les discerner.

17. Le contradictoire : toujours et partout ? – L’un des principes fondamentaux qui s’imposent à l’arbitre dans la conduite de l’arbitrage est le respect du principe du contradictoire (qu’il doit également faire respecter). Il signifie bien sûr qu’un arbitre ne peut pas communiquer avec une partie, et réciproquement, sur le fond du litige comme sur l’administration de la procédure, sans que les autres parties et membres du tribunal n’en soient informés. Si cette ligne rouge ne fait plus guère débat, du moins en droit et dans la plupart des pays[49], il existe, encore aujourd’hui, une zone grise qu’il est particulièrement difficile, certains diront inopportun, de réglementer : il s’agit des conférences scientifiques, des manifestations sociales ou même de dîners en ville au cours desquels les protagonistes d’un arbitrage, compte tenu de la proximité – certains diront promiscuité – qui peut exister dans le monde, parfois clos, de l’arbitrage, sont amenés à se retrouver, se rencontrer, parfois discuter et échanger, de choses et d’autres, mais, dit-on, jamais de l’arbitrage dans lequel ils sont par ailleurs impliqués. S’il n’est guère envisageable d’empêcher ce type d’interactions, c’est tout l’intérêt de la morale que d’imposer ici à chacun de la retenue et un souci, constant, du respect du contradictoire. Cela est vrai d’une certaine façon, même après le prononcé de la sentence, ce qui suppose qu’on ne viole pas le délibéré qui l’a précédé. En réalité, on sait qu’il n’est pas rare que certains arbitres se laissent aller, en toute bonne foi et par souci de légitimité, à des confidences, qui dépassent le cadre des explications d’usage, notamment à l’égard de la partie perdante. Là encore, trouver l’équilibre entre le souci pédagogique d’expliquer à cette dernière pourquoi l’issue de l’arbitrage ne lui a pas été favorable et la stricte préservation du secret du délibéré est un art délicat à exercer.

18. Disponibilité et compétence comme préalables éthiques. – De plus en plus, on impose aux arbitres des devoirs – plutôt que des obligations – de disponibilité et de compétence, qui devraient les conduire à refuser leur désignation s’ils estiment ne pas disposer du temps, des qualités ou des connaissances nécessaires à une résolution juste et efficace du litige qu’ils doivent trancher. Au moment de sa désignation, l’arbitre devrait s’assurer de sa disponibilité pour mener efficacement la procédure arbitrale jusqu’à son terme, et tout particulièrement dans le respect des délais prévus dans le règlement d’arbitrage choisi des parties. Plutôt que de « gestion de l’éthique dans l’arbitrage », il faudrait plutôt parler ici de « gestion éthique des arbitrages » : face aux sollicitations grandissantes qui accompagnent son succès, l’arbitre, connu et reconnu, (i) devrait pouvoir évaluer la masse de travail qu’engendrerait l’acceptation d’une nouvelle mission, (ii) devrait être en mesure de coordonner toutes les procédures entre elles et, in fine, si le travail ou la coordination en devenaient impossibles (iii) devrait avoir la distance nécessaire pour décliner une mission aux enjeux juridiques et/ou financiers pourtant alléchants. Vœux pieux ou évolution en cours ? On sait en tout cas que, d’ores et déjà, certains centres d’arbitrage demandent aux arbitres de remplir et de signer une déclaration de disponibilité, en plus de celle relative à leur impartialité et indépendance[50]. Le véritable enjeu ici, n’est pas tant la sanction du non-respect d’une telle discipline, mais bien de savoir si une nouvelle génération d’arbitres ne se contentera pas juste d’accepter cette exigence, mais se l’imposera à elle-même comme une nécessité évidente et préalable. L’avenir le dira, même s’il ne faut pas non plus être naïf sur la réalité des forces du marché et la tentation pour un arbitre déjà occupé d’accepter un « important» arbitrage, tout en déclinant d’autres, de taille plus modeste.

19. L’arbitre devrait également posséder toutes les aptitudes nécessaires non seulement au regard des caractéristiques objectives du litige, mais également des attentes légitimes des parties. Un arbitre devrait ainsi, par exemple, posséder la compétence, ou au moins l’expérience, dans la matière juridique et/ou technique touchant au différend, ou encore avoir une maîtrise adéquate du droit applicable et de la langue de l’arbitrage choisis par les parties ou, si ce choix n’est pas défini, de ceux qui seront susceptibles d’être arrêtés par le tribunal. A ce sujet, certains se sont interrogés, sur la capacité d’un candidat(e), ne parlant pas l’arabe et/ou n’étant pas musulman de confession, à arbitrer un litige ayant trait par exemple à la finance islamique. La question est certes provocante, mais, ayant suscité des débats juridiques passionnés dans un cadre assez proche[51], elle reste encore posée aujourd’hui et mériterait que l’on s’y penche. Car là encore, les deux positions, du moins au sujet du droit applicable, se valent et se discutent[52].

20. Un devoir de diligence aux contours éminemment moraux. – Les arbitres se doivent aussi d’être diligents, ce qui semble répondre à une approche saine et naturelle de l’éthique arbitrale. Il s’agit de ces quelques cas où efficacité et moralité riment sans difficulté. Tout d’abord, les parties peuvent légitimement s’attendre à ce qu’un arbitre ait une bonne maitrise du dossier, au gré de son avancement, afin de mener et d’instruire adéquatement et efficacement la procédure. L’arbitre devrait ainsi, en pratique, examiner avec minutie toutes les correspondances et les mémoires des parties au fur et à mesure de l’évolution de l’arbitrage, sans forcément attendre les plaidoiries finales ou même la rédaction de la sentence pour se pencher sur les points les plus difficiles ou délicats de l’affaire. Ainsi, en cas d’incident de procédure, l’arbitre pourra être à la fois plus réactif et plus juste dans sa prise de décision. Le rapport au temps arbitral est d’ailleurs également un rapport éthique. En effet, la gestion efficace des échéances et des étapes procédurales de l’arbitrage et, in fine, du délai de l’arbitrage, n’est pas qu’une question juridique dont la sanction serait, si l’arbitre n’a pas respecté ledit délai, la mise en jeu de sa responsabilité civile[53] ou la nullité de sa sentence : il s’agit aussi d’une question d’efficacité et d’attente légitime des parties qui ont placé leur confiance (et leur investissement) dans la capacité de l’arbitre désigné, non seulement à rendre la justice, mais également à le faire avec compétence et diligence[54].

21. De la même manière, au stade de l’élaboration de la sentence tout particulièrement, on attend de l’arbitre qu’il participe activement à la prise de décision, même en tant que co-arbitre, et qu’il s’acquitte personnellement de sa mission en mettant tout en œuvre pour que sa sentence tranche précisément et justement le litige. Ce qui pose notamment la question de savoir, au-delà des aspects à proprement parler juridiques (caractère intuitu personae de la mission de l’arbitre ou de la confidentialité de l’arbitrage), dans quelle mesure, éthique cette fois-ci, un arbitre peut avoir recours aux services d’un secrétaire de tribunal[55] ou même d’un collaborateur au sein de son cabinet, pour l’assister dans la préparation de la sentence. On ne saurait nier l’opportunité, en pratique, d’une telle assistance et la question semble davantage être de degré que de nature. Même si, il est vrai, certaines questions de principe, dont les réponses théoriques et pratiques peuvent diverger, restent encore posées : comment un arbitre peut-il se faire assister même dans l’administration de la procédure, qui est une part indissociable de sa mission juridictionnelle? L’arbitre peut-il déléguer certaines parties de son travail – et lesquelles ? – à une tierce personne sans l’accord préalable les parties ? Il convient ici d’éviter les extrêmes et de n’être ni trop puriste, ni trop pragmatique.

22. L’ardente nécessité d’agir dans l’intérêt des parties. – Enfin, plus généralement, les arbitres ont le devoir d’agir dans l’intérêt des parties. On peut penser que les arbitres devraient, autant que faire se peut, tenter de faciliter le règlement amiable du litige qui leur est soumis, en soutenant les parties dans leurs tentatives – même intempestives – de négociation en vue de la signature d’un accord transactionnel, et en prenant garde à ne pas glisser dans la peau d’un médiateur, plutôt qu’en maintenant les parties dans leur cadre conflictuel, qui pourrait continuer à alimenter un litige dont l’existence même est la source de leur mission et de leur rémunération. En théorie, on n’imagine guère un arbitre agir, et même penser, autrement que dans cette logique altruiste qui fait primer l’intérêt de la justice sur celle du « justicier » qu’il est.  Mais, en pratique, dans l’administration de la procédure, une conduite saine et éthique de cette dernière par l’arbitre ne suppose-t-elle aussi que, lorsque les parties lui demandent la suspension de la procédure arbitrale pour pouvoir négocier un éventuel accord, même si c’est à répétition et bien que cela pourrait être contraire à l’efficacité de l’arbitrage, il doive y répondre aussi favorablement que possible, tout en exigeant éventuellement qu’elles le tiennent informé de l’avancée de leurs discussions selon certaines échéances ? Là encore, la seule limite à cette affirmation de principe demeure l’abus et la responsabilité éthique des parties elles-mêmes, qui ne sauraient instrumentaliser ni l’arbitrage ni l’arbitre. Et l’on peut comprendre alors que, face à ce principe (suspendre l’arbitrage simplement sur demande des parties), l’exception puisse l’emporter, notamment aux yeux d’un arbitre autant soucieux d’efficacité que d’éthique. De ce point de vue, l’arbitre qui, n’ayant pas été informé des tenants et aboutissants des négociations, pressent un accord transactionnel douteux – par exemple parce que conclu en fraude des droits d’un tiers à l’arbitrage – ne devrait pas accepter de donner son aval, notamment en recouvrant la transaction du sceau d’une sentence d’accord-parties[56].

23. Intérêt de l’arbitre et décision sur sa compétence. – Il est toutefois bon nombre de situations où il peut être légitime de s’interroger, compte tenu du fait que l’arbitre est aussi bien un juge qu’un prestataire de services, sur la dissociation entre son intérêt propre et l’intérêt d’une bonne justice et donc sur la conformité de ses motivations profondes aux exigences éthiques, lorsqu’il administre une procédure, ou même lorsqu’il rend sa sentence. On retrouve ici, dans le fait que l’arbitre est un cocontractant et pas uniquement un juge, les limites de la morale de l’intérêt, déjà rencontrées[57]. Il semble ainsi admis, voire « acquis », dans la communauté arbitrale, qu’il serait normal que l’arbitre ait cette propension naturelle, confirmée d’ailleurs par les statistiques, à se déclarer compétent, nonobstant l’existence d’arguments très solides, dans certaines espèces, contre la réalité du consentement d’une partie à un accord compromissoire ou encore contre son applicabilité. Si cette tendance semble admise dans la pratique, est-elle pour autant conforme à la morale arbitrale, et à l’idée de justice que l’arbitrage incarne pourtant aussi ? Si les sentences décidant de l’incompétence d’un tribunal arbitral ne sont pas inconnues en pratique[58], leur rareté est sans doute symptomatique en effet de cette inclinaison des arbitres à « retenir », au vrai sens du terme, leur compétence. Certes, le principe de compétence-compétence pourrait être perçu comme les invitant à suivre cette pente, mais il faudrait bien prendre garde à ce que la faculté de l’arbitre à décider de sa propre compétence ne se mue pas en une forteresse destinée d’abord à préserver l’intérêt bien entendu de l’arbitre, qui souhaiterait, plus ou moins légitimement, « garder la main » sur le litige[59]. S’il existe un doute sérieux sur sa compétence, une conduite éthique de l’arbitrage ne devrait-elle pas conduire l’arbitre à s’interroger, plus en amont encore, sur les véritables fondements de son pouvoir juridictionnel, sans attendre que sa sentence soit in fine sanctionnée par le juge de l’annulation pour, notamment, inexistence de la convention d’arbitrage ? Dans tous les cas, et a fortiori dans le cas d’une sentence concluant à une compétence arbitrale, il est légitime que les parties s’attendent à des explications détaillées et non pas expéditives. Dans la même logique, est-il conforme à une administration éthique et optimale de l’arbitrage que de permettre une jonction de l’exception d’incompétence avec le fond de l’affaire, lorsqu’une bifurcation (c’est-à-dire une scission de la procédure en une phase préliminaire sur la compétence et, si celle-ci aboutit à confirmer la compétence arbitrale, en une seconde phase pour l’examen au fond du litige) paraît plus adéquate et opportune, notamment lorsqu’il existe une forte probabilité que le tribunal arbitral décline in fine sa compétence ? Certes, il convient d’éviter toute décision prématurée qui donnerait l’impression que certaines questions sont « préjugées », mais là encore, gestion efficace et gestion éthique de l’arbitrage se recoupent et, quelle que soit la décision des arbitres (bifurquer ou non), une motivation aussi détaillée que possible est toujours préférable.

24. Faire respecter un comportement éthique des parties. – Si la logique voudrait que l’arbitre commence par s’appliquer à lui-même les exigences éthiques les plus basiques qu’il promeut, il n’en reste pas moins, que, une fois ce préliminaire acquis, l’arbitre se doit également de veiller à ce que les parties se conforment à ces exigences et, dès lors, doit exercer une forme de contrôle, de par son autorité morale, sur le comportement procédural des parties[60]. Il s’agit d’une autre exigence éthique qui concerne non plus le respect par l’arbitre lui-même de certaines règles, mais le fait qu’il doit s’assurer qu’elles sont respectées et qu’il les fait respecter. C’est ici que s’exerce au plus haut point la gestion du paramètre éthique dans l’arbitrage. Cet exercice, aussi nécessaire qu’inhérent à la fonction juridictionnelle de l’arbitre, peut toutefois se heurter dans certains cas à certaines limites. Il y a tout d’abord la crainte, plus ou moins légitime, de l’arbitre de paraître partial lorsqu’il n’entend pas céder au comportement abusif d’une partie : son autorité devrait ici permettre de trouver la juste mesure entre efficacité éthique et respect des droits de la défense. On pense aussi à la réalité, parfois profonde, des différences culturelles entre les protagonistes de l’arbitrage. Il ne s’agit pas ici (seulement) de débattre de la relativité de la notion d’indépendance de l’arbitre. Non, la difficulté est autre : il est des manières de plaider, une logique contentieuse, une manière de « préparer » un témoin, des guerres procédurales jusqu’au-boutistes[61], par exemple autour des questions de production de documents, qui seront appréciées différemment selon la sensibilité de tel ou tel arbitre. Ici, l’arbitre appréciera les positions tranchées d’une partie comme un signe de combativité (« c’est de bonne guerre »), qui peut ou doit même être in fine récompensée ; là, un autre arbitre y verra plutôt une forme d’agressivité moralement répressible et même sujette à sanction, notamment par le biais de l’allocation finale des coûts de l’arbitrage. Dès lors, comment parvenir à inclure, dans cette dimension éthique dont on cherche encore les contours, un souci du respect d’une certaine morale procédurale, alors que, finalement, il n’existe pas de référent arbitral unique qui permettrait de mesurer objectivement tel ou tel comportement comme étant abusif ou au contraire acceptable ? Les jugements changeant d’une culture –  juridique – à l’autre, et ce qui apparait « bien » ou vertueux, voire obligatoire, dans un cas, peut être répréhensible, voire interdit dans l’autre. Puisqu’il semble exister des éthiques et non une seule éthique, l’aspiration à l’émergence de l’éthique en deviendrait-elle irréaliste ? Selon nous, et comme déjà mentionné, si son sens autorise l’usage de l’indéfini, c’est un impératif éthique que d’essayer de tendre vers l’idée qu’il n’existe qu’une seule forme d’éthique.

25.  L’autre obstacle qui pourrait empêcher un arbitre de faire régner une logique éthique dans la procédure peut également venir de son souci de ne contrarier aucune des parties, celle qui l’a nommé comme les autres, puisque ces mêmes parties peuvent toutes être amenées à faire à nouveau appel à ses « services » dans des procédures arbitrales futures. Certains arbitres peuvent décider, à tort ou à raison, d’être plus ou moins regardants, plus ou moins silencieux ou sévères, concernant le comportement procédural des parties dans l’espoir d’être nommés dans d’autres arbitrages. Cette attitude ne pourra cependant pas passer inaperçue aux yeux des autres arbitres qui pourraient alors eux-mêmes en contenir les effets et inviter à la retenue l’arbitre qui prendrait systématiquement une position favorable à la partie qui l’a désigné. On voit bien ici que respecter l’éthique et faire respecter l’éthique se rejoignent naturellement.

26. Quelles sanctions ? – Il ne faut pas croire que ces règles éthiques, parce qu’elles ne sont pas juridiques stricto sensu, seraient per se dépourvues de toute sanction. La violation par un arbitre de l’un de ses devoirs peut aussi entrainer des conséquences juridiques, selon l’objet et la gravité du manquement dont il est question : si l’annulation de la sentence n’apparaît aujourd’hui pas la sanction la plus naturelle, il existe une panoplie de solutions, plus ou moins éprouvées, et qui ne laisseraient pas sous silence ou sans conséquence le non-respect par l’arbitre d’un cadre éthique de l’arbitrage, telles que la récusation, la réduction ou le non-versement des honoraires, la mise en jeu de sa responsabilité personnelle civile ou pénale dans les cas les plus extrêmes, et, sanction sans doute ultime et terriblement efficace, la non-désignation de l’arbitre dans des arbitrages ultérieurs. Autrement dit, l’arbitre « non-éthique », détruit sa réputation, qui, elle-même représente son fonds de commerce. Là encore, marché et éthique ne sont pas incompatibles, le premier venant compléter et affirmer la seconde.

Mais, il n’est pas simplement question ici de « sanctionner » l’arbitre : le débat tourne bien plus autour de l’application par l’arbitre de la sanction – la plus appropriée, la plus éthique, pourrait-on dire – aux autres acteurs dans la procédure arbitrale. Or la perspective d’une sanction, voire la sanction elle-même, ne sera pas anodine pour un tribunal lorsqu’il s’agira de dresser la liste des outils dont il dispose pour administrer l’arbitrage de la manière la plus sereine et efficace possible : dès lors que les parties, et plus précisément leurs conseils, sont prévenus que des comportements agressifs, dilatoires ou abusifs ne seront pas passés sous silence et pourront donc être sanctionnés, par exemple lorsqu’il s’agira d’allouer les frais de l’arbitrage, il n’est pas exclu que les parties s’en tiendront à une discipline et donc à une éthique relativement plus strictes. La raison du plus fort (entendez ici l’arbitre) appelant parfois la raison (des parties), on pourrait alors en déduire que l’arbitre aura réussi à conduire « son » arbitrage selon une forme d’ « efficacité éthique ».

On relèvera par ailleurs que les conseils peuvent se voir sanctionnés, tant par le juge étatique[62] que par le tribunal arbitral, en cas de « misconduct », notamment en cas de conflit d’intérêts, et faire l’objet d’une « exclusion », d’une « disqualification » dans une procédure[63].

2. LES PARTIES ET LEURS CONSEILS : UNE RESPONSABILITE MORALE CERTAINE

2-1. Les parties : des exigences éthiques propres

27. Choix du conseil. – La règle, qui caractérise la flexibilité de l’arbitrage, est que les parties à un arbitrage peuvent se faire représenter par toute personne de leur choix, et même ne pas être du tout assistées par un conseil extérieur. Même si les législations, règlements d’arbitrage ou même conventions d’arbitrage qui imposent la représentation par un avocat dans le cadre d’une procédure arbitrale sont excessivement rares[64], il reste que, dans la pratique, les parties sont généralement assistées par des conseils. Pour autant, on peut s’interroger : le choix de ne pas se faire représenter par un avocat contribue-t-il à diminuer l’exigence éthique, puisque la partie elle-même ne sera pas soumise, par définition, aux règles déontologiques qui lient les avocats ? On pourrait le penser, mais ce n’est pas forcément le cas car, en dehors du fait que de nombreuses entreprises possèdent aujourd’hui des services juridiques à même de gérer un arbitrage sans l’assistance d’un conseil[65], la présence d’un avocat peut aussi avoir pour conséquence d’exacerber les positions et au final de contrevenir à la sérénité des débats arbitraux. C’est du moins la perception qu’en ont certains départements juridiques. En somme, règle déontologique et exigence éthique ne coïncident pas toujours[66]. Il est en tout cas certain que, lorsqu’une partie engage un conseil, elle attend de lui plus qu’une expertise et une maîtrise du système arbitral : une connaissance de la philosophie de ce mode alternatif de règlement des litiges.

28. Choix des arbitres. – Qu’elles soient ou non conseillées par leurs avocats, les parties seront toujours tentées d’user, sans limite, de la liberté fondamentale offerte par l’arbitrage de choisir « leur » propre juge, en optant notamment pour un arbitre qui ne présentera pas nécessairement les qualités d’indépendance et d’impartialité, déjà décrites, pour privilégier le critère du résultat et de l’efficacité, en retenant celui des candidats le plus susceptible de porter leur voix au sein du tribunal arbitral et, au final, de l’emporter. Etrangement, cette logique, aussi légitime que discutable, est toujours largement admise au sien de la communauté arbitrale. A cet égard, la première prise de contact avec l’arbitre, notamment au cours des premiers entretiens de « sélection » doit éviter, dit-on, d’aborder le fond du dossier, pour ne pas influencer l’arbitre, de quelque manière que ce soit, mais aussi éviter de créer des attentes, plus ou moins légitimes, plus ou moins avouées, à la fois chez l’arbitre-candidat et chez la partie qui le nommera. Cette tentation pourra être aussi évitée, par le biais des conseils fournis par un avocat diligent et spécialiste de l’arbitrage, mais également par la familiarisation de la partie elle-même au droit, à la philosophie et au monde de l’arbitrage. D’ailleurs, il ne fait plus de doute aujourd’hui que le critère de l’indépendance de l’arbitre n’est plus apprécié à l’aune de la partie elle-même, mais aussi au regard des liens entre ce dernier et le conseil de la partie[67].

29. Comportement procédural. – Outre le choix d’un arbitre indépendant et impartial en début de procédure, les parties se doivent également de respecter l’indépendance des arbitres pendant la procédure arbitrale, en tâchant d’éviter tout contact direct[68] – notamment téléphonique ou électronique – hors la présence de l’autre partie[69]. Cette méconnaissance du contradictoire, qui semble aller de soi pour les juristes, ne le sera pas nécessairement pour une partie qui participe à un arbitrage, sans l’assistance d’un conseil. Pour autant, il est des circonstances exceptionnelles et des exigences de flexibilité procédurale qui permettent de faire parfois des entorses à la règle[70]. Tant que l’exception confirmera la règle, la morale sera sauve, mais le risque juridique sur la validité de la procédure demeurera.

Le comportement procédural des parties, lorsqu’elles sont appelées à jouer un rôle très actif et direct dans l’arbitrage en intervenant comme témoins, est également essentiel ici. Or dans ce cas, leur crédibilité et leur capacité à s’approcher au plus près de la réalité des faits pour lesquels elles sont appelées à témoigner, peuvent être décisives pour l’issue de l’arbitrage. Il y a donc ici une responsabilité morale considérable de la part d’une partie entendue comme témoin, notamment à l’égard du tribunal arbitral qui traitera le témoignage comme de la preuve testimoniale susceptible d’être admise au même titre que de la preuve documentaire. Enfin, on n’imagine pas une entité économique, partie à l’arbitrage tenter de faire pression (politique, économique) sur l’un de ses employés avant son audition ou son « witness statement » pour faire en sorte que son contenu soit parfaitement conforme aux intérêts de cette partie.

30. De la contestation à l’abus. – Plus généralement, on attend des parties, tout comme de leurs conseils d’ailleurs, un comportement « loyal » – avec toute l’ambiguïté que ce terme recouvre[71] – qui devrait les conduire à ne pas user de manœuvres pour retarder ou tenter de faire dérailler l’arbitrage. On ne parlera pas ici des cas extrêmes où l’une des parties à l’arbitrage, dispose d’un tel pouvoir politique ou économique qu’elle peut être tentée d’influencer (ou même de menacer) le tribunal arbitral (ou des témoins), ni du cas où la partie est en fait un Etat souverain dont les pouvoirs régaliens lui permettraient de « légalement » paralyser un arbitrage, ou même de jeter en prison un arbitre[72]. Manifestement, il n’est même pas question de parler d’éthique tant le cadre est ici aussi immoral qu’illégal.

Les parties ont indiscutablement le droit de faire valoir leurs droits en usant des voies de recours légales ou prévues au règlement d’arbitrage applicable. Cependant, sur un plan éthique, elles ne sauraient en abuser, notamment en créant des incidents de procédure à répétition (non-signature de l’ace de mission, refus de désigner un arbitre, non-paiement des frais d’arbitrage, demande de bifurcation de la procédure en de multiples phases quand il est manifeste que le différend peut être tranché d’un trait et sans avoir à être ainsi haché, demandes de suspension de l’instance arbitrale sur la base d’un recours introduit parallèlement, demandes répétées de récusation, contestations quasi-systématiques des décisions arbitrales, même celles aux incidences procédurales limitées comme en matière de calendrier, non-respect des demandes de production de documents…) ou en introduisant des recours parallèles devant des juridictions étatiques (recours en annulation contre une sentence préliminaire ou action pénale introduite relativement aux mêmes faits). Il ne s’agit bien évidemment pas ici de discuter, sur le terrain juridique, de l’existence, ou même de l’opportunité, de telles mesures : c’est bien le droit d’une partie de tenter de contester un arbitrage, de l’intérieur comme de l’extérieur, car ce droit est toujours reconnu et reste encore peu sanctionné, même dans son exercice abusif[73]. Non, il s’agit davantage, là encore, d’une question de mesure que de principe, une question de répétition ou d’accumulation de contestations que d’exercice d’un droit dans l’absolu. Avec l’éclairage de leurs conseils, spécialistes de la science et donc de l’éthique arbitrales, les parties pourront sans doute privilégier une certaine retenue aux dépens d’une stratégie procédurale jusqu’au-boutiste, parfois appelée « tactiques guerrières »[74] c’est-à-dire faite d’obstructions systématiques et qui pourrait d’ailleurs finalement s’avérer contre-productive et couteuse.

31. L’administration de la preuve. – S’agissant de l’administration de la preuve, et plus particulièrement des règles relatives à la production des documents en la possession des parties elles-mêmes, le cadre éthique de ces questions peut différer considérablement d’un pays à l’autre, abstraction faite des règles déontologiques applicables aux conseils de telle ou telle partie. Alors que dans les pays de droit continental, les parties n’ont en principe pas d’obligation de produire de documents défavorables à leur action et que la charge de la preuve repose sur le demandeur, au sens de celui qui allègue un fait ou droit, sachant que, si des procédures visant à obliger une partie à produire des documents existent, celles-ci sont généralement difficiles à mettre en œuvre, dans les pays de common law au contraire, toutes les parties doivent se soumettre à des procédures très spécifiques de « discovery » ou « disclosure » et ont dans ce cadre l’obligation de produire les documents sollicités, à certaines conditions, par la partie adverse, y compris ceux qui leur seraient défavorables. On pourrait dire qu’une gestion, aussi bien équitable qu’éthique de la procédure, serait que toutes les parties se soumettent aux mêmes exigences en termes de « loyauté documentaire », abstraction faite des règles applicables dans le pays de telle ou telle partie. A cet égard, le choix d’appliquer un « compromis », sans doute imparfait mais probablement juste et raisonnable, tel que les « Règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international » permet de prévoir des « règles du jeu », justes, prévisibles et raisonnables, par-delà les différences culturelles derrière lesquelles une partie pourrait être tentée de s’abriter[75]. Dans la même lignée, le rapport de la CCI « Managing e-document production » est également considéré[76] comme un compromis entre l’approche restrictive de la production documentaire en Europe et l’approche extensive adoptée notamment aux Etats-Unis.

32. Participation « éthique » aux frais d’arbitrage. – Une autre « règle du jeu » (éthique) de l’arbitrage consiste à assumer, pour tous les acteurs, le caractère privé et donc non-gratuit, de ce mode de règlement des litiges : si une obligation financière en résulte, il est normal que toutes les parties y contribuent, d’une manière ou d’une autre. Si l’on peut parfaitement concevoir que, dans certains cas (non théoriques), certaines parties soient dans un état d’impécuniosité tel qu’elles ne soient pas en mesure de payer le coût d’une telle procédure, en termes de frais administratifs (lorsqu’un centre existe) ou même d’honoraires d’avocats, il faut également envisager les très nombreuses autres hypothèses où l’absence de contribution financière résulte plutôt d’un choix délibéré et stratégique d’une partie qui, ne respectant pas ses obligations financières, cherche en fait à en faire peser la charge, qui devient excessive et indue, sur les épaules de la partie adverse. Ceci est particulièrement manifeste, lorsque la partie qui ne participe pas aux frais de l’arbitrage, mobilise par contraste des moyens considérables en termes d’avocats et d’experts dont le coût total cumulé peut s’avérer représenter jusqu’à plusieurs fois le montant sollicité en termes de frais d’arbitrage stricto sensu. Là encore, une telle instrumentalisation, a fortiori si elle est abusive et lorsque l’abus est caractérisé, des aspects financiers de l’arbitrage est largement contestable sur un plan éthique.

2-2. Les conseils : par delà les devoirs déontologiques

33. Frontières de la déontologie. – Les conseils des parties, par delà les spécificités de leur pays d’exercice habituel ou leur(s) barreau(x) de rattachement, sont toujours soumis à une certaine déontologie, que l’on définit comme un ensemble de valeurs et de principes éthiques encadrant leur activité professionnelle[77], édictés par l’organe représentatif de leur profession et généralement sanctionnés en droit y compris (disciplinairement). Puisqu’il ne fait aucun doute que ces règles s’appliquent aussi bien dans le contentieux judiciaire que dans le cadre des procédures arbitrales internationales[78], un avocat ne pourrait s’y soustraire, sous prétexte qu’il représente une partie dans un cadre arbitral, lequel serait une sphère de liberté qui échapperait aux règles applicables devant les juridictions étatiques. Selon nous, la déontologie relève davantage, sur le plan formel et de la sanction, du domaine du droit que de la morale[79], mais elle demeure ici particulièrement pertinente car ces règles ont toutes un fondement éthique, qui place le conseil face aux exigences de sa propre « conscience »[80].

34. L’intérêt de la partie représentée avant tout ? – La déontologie de l’avocat a pour objectif premier la protection des intérêts du client et un avocat ne peut donc pas faire prévaloir ses intérêts au détriment de ceux de son client, tout en veillant au respect des droits de la partie adverse. Cette tension, que l’on retrouve dans tout contentieux, entre l’intérêt du conseil et celui de la partie – qui ne confondent pas toujours et systématiquement – est souvent exacerbée lorsque le premier est rémunéré au résultat par le second, comme c’est parfois le cas dans l’arbitrage international[81]. Symétriquement, compte tenu des enjeux financiers considérables qu’impliquent certains dossiers arbitraux, avec le volume d’honoraires d’avocats que suppose de mener ces dossiers jusqu’au bout, le conseil ne saurait être mu par le seul souhait d’aller au terme de la procédure, en minimisant par exemple auprès du client l’intérêt que recouvrirait une offre transactionnelle faite par la partie adverse en début de procédure. Les règles déontologiques visent justement à contenir ces tensions, en imposant certaines autolimitations à l’avocat, dans l’intérêt donc du client qu’est la partie à l’arbitrage. Par ailleurs, si certains principes semblent se retrouver presque à l’identique dans de nombreux corps de règles, des divergences culturelles entre traditions juridiques existent et les prescriptions et interdits varieront significativement selon le barreau ou l’organisme auquel tel ou tel avocat est rattaché. Et c’est notamment pour remédier au risque d’inégalité procédurale entre parties et conseils issus de systèmes juridiques différents[82], dans le cadre d’arbitrages internationaux, qu’en 2013, l’International Bar Association a mis à la dispositions des praticiens de nouvelles lignes directrices relatives à la représentation des parties : les « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », accueillies favorablement par une majorité de la doctrine[83], malgré une méfiance clairement affichée par certains[84]. Ces lignes directrices, que certains considèrent comme influencées par des principes de common law[85], prévoient à la charge des conseils diverses obligations, relatives à différents aspects d’une procédure arbitrale, telles  que la communication entre les conseils et les arbitres, la production de mémoires et de preuves, mais également la relation entre les conseils et les témoins, obligations méconnues des parties et de leurs avocats issus de pays de droit civil. Il est ainsi énoncé à l’article 11 que le représentant d’une partie ne doit pas proposer de preuve testimoniale ou « expertale » qu’il saurait être faux ou encore à l’article 13 que le représentant d’une partie ne doit pas effectuer une demande de document ou une objection à une telle demande dans un but déplacé, comme l’harcèlement ou pour causer un retard. Il faut relever que cette tendance “éthique” est aujourd’hui confortée sur le plan institutionnel par la LCIA qui a également prévu, dans le cadre de son nouveau règlement d’arbitrage (à paraître en 2014), un projet d’annexe contenant des “General Guidelines for the Parties’ Legal Representatives”, qui tendent à favoriser, en complément d’éventuelles règles impératives ou codes déontologiques applicables, un comportement plus respectueux et vertueux de la part des conseils représentant les parties à un arbitrage LCIA. Ces Guidelines (à l’article 18.6) donnent notamment au tribunal arbitral la compétence et le pouvoir de décider si un conseil a, ou non, violé ces règles et prévoient une série de sanctions dans ce cas.

35. Loyauté procédurale et instrumentalisation de l’arbitrage. – Il  est largement admis que les conseils, notamment en ce qu’ils incarnent les parties qu’ils représentent, doivent agir de bonne foi et éviter toute manœuvre abusive ou dilatoire dans le but de retarder ou de perturber le bon déroulement de la procédure[86]. La loyauté procédurale doit être observée tant devant les juridictions étatiques que dans le cadre de la procédure arbitrale elle-même. Bien que le terme de « loyauté » soit désormais consacré dans la loi – à l’article 1464 du Code de procédure civile – comme visant principalement une obligation à la charge notamment des parties, il semble qu’elle recouvre aussi les conseils qui les représentent. Toutefois, cette acception n’est pas sans créer un véritable « conflit d’obligations » : en effet, si le conseil se retrouve ainsi désormais soumis à une obligation de loyauté vis-à-vis du tribunal arbitral, une autre s’impose également à lui, de par la loi[87], vis-à-vis de son client : mais quelle loyauté devrait alors prévaloir, si les deux venaient à s’opposer ?  Et l’avocat n’est-il pas en fait contraint à une loyauté absolue vis-à-vis de son client, avant et aux dépens de toute autre considération ?

36. Il existe encore un autre écueil, presque inhérent à l’arbitrage. Certes, le procès arbitral, au même titre que tout autre procès, doit représenter un cadre juridique, plus souple qu’ailleurs, au service des parties, afin qu’une décision juste et motivée soit rendue au terme d’un débat contradictoire et loyal, dans le respect de l’égalité des parties et des droits de la défense. Mais la flexibilité de la procédure arbitrale ne devrait pas pouvoir offrir aux conseils, suffisamment aguerris des subtilités et des limites propres à cette procédure malléable, un terrain de bataille qui permettrait de l’instrumentaliser, voire de la prendre en otage, comme une arme qui se retournerait contre l’intérêt de la justice et, in fine, contre l’arbitrage lui-même. Typiquement, et comme déjà mentionné, si l’arbitrage repose sur la liberté de choix de « son » arbitre, il ne saurait être admis qu’un conseil, dès lors qu’il perçoit que des décisions, y compris procédurales, ne sont pas dans son intérêt, utilise l’arme de la récusation, de manière abusive ou systématique, avec comme risque, voire comme objectif, de retarder ou même d’enrayer la conduite de l’arbitrage et de déstabiliser le tribunal arbitral. C’est selon la même logique éthique que les conseils se doivent de prévenir des recours en annulation, introduits abusivement, et parfois accompagnés de demandes de suspension de la procédure arbitrale, lorsqu’ils savent pertinemment que lesdits recours n’ont que très peu de chances d’aboutir, sur le fond comme sur la forme. Cela ne remet nullement en cause le fait que certaines demandes de suspension, parfaitement articulées et fondées sur un réel souci d’économie procédurale, peuvent légitimement aboutir.

37. Respect de la confidentialité et tiers-financeurs. – Sauf stipulation contraire des parties, les conseils se doivent généralement de veiller au respect de la confidentialité généralement applicable à l’arbitrage, autant qu’ils sont tenus au secret professionnel à l’égard de leur client. A l’heure d’une exigence de transparence exacerbée, où les supports médias spécialisés en arbitrage sollicitent souvent les conseils quant aux affaires dont ils ont la charge et alors que ces derniers sont parfois tentés de « communiquer » autour de leurs dossiers, pour plus de visibilité, il n’est pas toujours aisé pour eux de répondre, strictement et donc éthiquement, à ces exigences. Ainsi, tout élément du litige, voire même l’existence de l’arbitrage, ne devrait en principe pas pouvoir être divulgué à un tiers, sauf si cela devait s’avérer nécessaire pour le bon déroulement de la procédure, dans le cadre d’une expertise notamment, ou encore dans le cadre du financement de l’arbitrage par un tiers[88].

Mais, même dans ce dernier cas, le conseil doit rester particulièrement vigilant quant au respect d’une certaine éthique, au-delà même de ses obligations déontologiques. Ainsi, il appartient sans doute à la seule partie financée d’exposer, sous réserve d’un accord de confidentialité, le contenu du dossier au tiers-financeur et non à l’avocat, qui, autrement, violerait le secret professionnel. Par ailleurs, le fait que le tiers-financeur paie ses honoraires ne saurait influencer l’indépendance du conseil, qui reste tenu, par principe et en théorie du moins, seulement à l’égard de son client, véritable partie à l’arbitrage[89]. Ce qui ne signifie pas que l’avocat n’est pas aussi tenu de devoirs éthiques vis-à-vis de ce tiers[90], ou même à l’égard du tribunal arbitral[91]. De même que l’avocat doit tenter de prévenir tout risque d’immixtion du tiers-financeur dans les décisions, au moins de nature juridique, et éviter plus généralement toute situation de conflit d’intérêts entre son client et le tiers-financeur[92].

38. Administration de la preuve et conflits de règles déontologiques. – Cependant, il existe des différences importantes entre règles déontologiques concernant de nombreux aspects de la procédure arbitrale et qui ne sont pas sans poser des problèmes d’égalité entre les parties. C’est cette gestion éthique de l’égalité par les conseils qu’il convient ici d’évoquer. On peut pour cela évoquer deux exemples complémentaires en matière d’administration de la preuve, testimoniale et écrite.

39. On sait que le principe, mais aussi l’étendue, de la « préparation » d’un témoin par un conseil fait l’objet de divergences considérables d’un pays, et même d’un barreau, à l’autre[93]. Ainsi, le traitement de ces questions peut varier au sein même de pays appartenant à la tradition juridique de common law[94] et, dans les pays civilistes, et notamment en France, où l’on a pu considérer qu’une telle pratique pouvait être illégale, y compris dans un arbitrage international ayant son siège en France, à la lumière des dispositions légales applicables aux personnes appelées à témoigner dans le cadre d’un procès civil[95], mais aussi au regard des devoirs déontologiques de l’avocat qui ne saurait altérer le caractère authentique d’un témoignage. Face à ces différences, ce sont des arguments de prévisibilité juridique et de traitement égal des parties et de leurs conseils[96] qui ont conduit, en France, à l’adoption d’une résolution ordinale[97] autorisant, dans les arbitrages internationaux, la préparation des témoins par les avocats parisiens, sans pour autant définir ou détailler le sens du mot « préparation » ou l’autoriser pour les arbitrages internes. L’argument, à bien y réfléchir, n’est en fait pas totalement convaincant car les règles déontologiques n’étant pas les mêmes dans toutes les juridictions, il est inévitable, dans le cadre d’arbitrages internationaux, que l’on se retrouve face à des situations génératrices d’inégalités procédurales entre conseils issus de systèmes juridiques différents[98]. D’ailleurs, il n’est pas exclu ici que, quoi qu’on y fasse, un avocat civiliste se trouve – ou s’estime – dans une position moins confortable qu’un common lawyer, aguerri à la pratique de la « cross-examination » d’un témoin.

40. Dès lors, s’il peut apparaître, à tort ou à raison, que, dans ce domaine, les avocats issus d’un système de common law seraient avantagés par rapport à leurs collègues « civilistes », on ne peut pas en dire autant lorsqu’il s’agit de preuves, non plus testimoniales, mais documentaires. En effet, au regard des règles déontologiques applicables à la plupart des avocats issus de pays de « droit continental », il n’existe aucune obligation générale ou précise relative à l’obligation des conseils de produire des documents en leur possession (ou en possession de leur client) et requis par la partie adverse. Or, ce cadre contraignant (qui peut même aller jusqu’à la radiation de l’avocat) s’applique justement aux avocats de common law en matière de « discovery » ou de « disclosure »[99] et les place donc dans une situation d’inégalité, mais dans un sens cette fois-ci favorable aux avocats « civilistes »[100]. Ce qui conduit à relativiser l’impérieuse nécessité (ou ce qui est ressenti comme un désavantage) de permettre à ces derniers de « préparer » un témoin pour des raisons tenant au principe d’égalité[101].

41. Ainsi, une gestion éthique de ces inégalités entre conseils de nationalités et traditions juridiques différentes[102], consisterait, pour ces derniers comme pour les arbitres, à convenir, dès le début de la procédure arbitrale, de règles applicables en matière d’administration de la preuve, écrite comme testimoniale, par référence ou en complément par exemple des règles posées en la matière par l’IBA, notamment les IBA Rules on Taking the Evidence in International Arbitration, adoptées en 2010, et les IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration, précédemment énoncées, qui couvrent la représentation des parties, les communications avec les arbitres, les mémoires soumis au tribunal, l’échange et la production de documents, les témoins, les experts et les recours en cas de comportements fautifs. Il n’est en revanche pas certain que les tentatives d’harmonisations régionales, tel que le code des avocats européens, ou l’élaboration de codes ou de lignes directrices d’initiative privée, telles que les « IBA Principles on Conduct for the Legal Profession 2011 », soient des solutions efficaces et suffisantes pour gérer convenablement des conflits de règles éthiques créatrices d’inégalités entre les parties à des arbitrages internationaux. Dans le premier cas, il faudrait que tous les avocats dans un arbitrage donné proviennent de la même culture juridique pour éviter le risque de conflits, ce qui reste très théorique. S’agissant des initiatives privées, si celles-ci ont le mérite de cristalliser un certain consensus et de le promouvoir, ces textes n’ont aucune valeur normative et les règles déontologiques des avocats restent applicables dans leur diversité quand bien même les parties se seraient entendues sur leur application dans le cadre de la procédure[103]. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette accumulation de « soft laws » soit ressentie avec la légèreté que sous-entend le terme, le poids que prennent ces « règles » étant de plus en plus vécu, dans la pratique quotidienne des arbitrages, comme un carcan inopportun ne permettant plus la flexibilité pourtant inhérente à l’arbitrage.

3. LES AUTRES INTERVENANTS : DES EXIGENCES ETHIQUES NOUVELLES ET CROISSANTES

3-1. Les experts : des témoins irréprochables

42. Un « témoin sachant » qui « sait » sa responsabilité. – L’expert se voit généralement confier, par une partie, les deux à la fois, ou par le tribunal arbitral, la mission d’éclairer les débats sur des questions, notamment techniques mais aussi juridiques, qui peuvent donner lieu à des divergences d’interprétation et dont la réponse peut parfois influencer considérablement l’issue du litige[104]. Il est indiscutable que la complexité croissante des litiges arbitraux contemporains rend la place et le rôle des experts d’autant plus importants. C’est donc souvent une responsabilité accrue qui leur incombe. Dès lors, leur qualité de « sachants » et la confiance placée en eux par tous les protagonistes, ne peut que les conduire à répondre à des exigences éthiques particulièrement élevées.

On l’oublie souvent, l’expert rentre le plus souvent dans la catégorie plus large de « témoin » en ce que son expertise – rapport et/ou témoignage oral – constitue une preuve, souvent d’ordre factuel mais parfois aussi juridique et doit à ce titre contribuer à la manifestation de la vérité et permettre au juge, fût-il arbitral, de trancher le litige en connaissance de cause. Or la quintessence du témoin, c’est bien d’intervenir, comme un « tiers », détaché des contingences ou des influences de telle ou telle partie, pour ne s’en tenir qu’aux faits dont il a une parfaite connaissance personnelle et/ou technique et donc en principe en parfaite neutralité. Une partie parlera toujours, par abus de langage, de « son » témoin, comme de « son » arbitre, mais ces derniers n’en sont pas moins tenus de rester indépendants et neutres. D’où le fait que l’expert doit s’imposer une étanchéité à l’épreuve de sa propre rigueur intellectuelle, de sorte de ne pas se laisser influencer par les desiderata, parfois excessifs, du conseil d’une partie qui en viendrait, en l’aidant à préparer son attestation ou son rapport écrit, à en dénaturer la substance ou à en altérer, par trop, le caractère spontané, ou pire, la véracité[105].  L’expert, conscient que son rôle peut être déterminant, se doit donc d’être en adéquation avec sa conscience.

43. Exigences éthiques et non encore juridiques. – C’est sans doute la raison pour laquelle on exige désormais de l’expert, au-delà de ses aptitudes techniques qui se veulent indiscutables, qu’il remplisse sa mission avec le degré de neutralité, d’objectivité et d’impartialité attendu d’un juge ou d’un arbitre[106]. Là encore, même si la jurisprudence et les illustrations dans des affaires arbitrales ne se sont pas encore développées au point qu’un cadre juridique précis puisse désormais émerger, il reste que cette tendance à assimiler expert et arbitre s’impose de plus en plus, comme la résultante de devoirs éthiques en l’absence d’exigences juridiques. C’est ainsi qu’on exige[107] de l’expert (i) qu’il demeure objectif, neutre et impartial, (ii) qu’il révèle tout lien qui pourrait exister avec tous les protagonistes de l’arbitrage, (iii) qu’il communique les interventions, articles et écrits dont il a pu être l’auteur sur le sujet sur lequel il est appelé à témoigner, (iv) qu’il informe ces mêmes protagonistes de son mode de rémunération, surtout s’il intervient « pour le compte » d’une partie en particulier, (v) qu’il fasse preuve d’un effort de pédagogie en direction des parties et du tribunal arbitral qui vont l’entendre, afin que la pertinence de son raisonnement et de ses conclusions puisse faire l’objet d’un débat sain et accessible à tous, (vi) qu’il préserve la confidentialité de l’arbitrage et des informations ou données qu’il a pu échanger avec la partie qui l’a nommé en vue de la préparation de son rapport[108] ou avec le tribunal arbitral.

44. Des contradictions de l’éthique. – On le voit bien, certaines de ces obligations seront parfois inconciliables entre elles, ce qui place l’expert dans une tension parfois fort inconfortable, ce que l’éthique doit elle-même prendre en compte. C’est ainsi qu’il semble délicat d’exiger d’un expert, d’une part, pour s’assurer de son indépendance ou impartialité, qu’il garantisse une transparence intégrale quant à ses écrits et interventions passées, notamment dans le cadre d’arbitrages anciens et, d’autre part, pour respecter la confidentialité de l’arbitrage, qu’il ne dévoile rien du contenu de leurs écrits ou interventions dans ces mêmes procédures. De la même façon, l’impartialité exigée de l’expert présente des limites consubstantielles à son choix : s’il a été désigné par une partie, c’est bien le plus souvent parce, au-delà de sa méthodologie irréprochable et au-delà de tout soupçon, il appartient à une école de pensée, a pris des positions théoriques et/ou techniques et a au final corroboré, même sans le vouloir, la position défendue par la partie qui a recouru à ses services. Ce défaut indéniable, parfois inévitable, d’impartialité, qui n’est pourtant pas condamné en soi par la communauté arbitrale, place donc, là encore, l’expert dans une position inextricable : on lui reprochera un préjugé à l’heure d’apprécier son impartialité, alors que c’est précisément ses positions passées, qui n’ont rien d’illégitimes, qui auront motivé, en toute transparence, le choix de sa désignation. Là encore, où trouver le bon équilibre ? Où se situe la juste mesure éthique pour l’expert ? À défaut de parler de gestion contradictoire de l’éthique, on pourrait dire qu’il s’agirait d’une conduite de l’arbitrage à double sens.

3-2. Les centres d’arbitrage : des acteurs en charge de la bonne administration de la procédure

45. Respecter et faire respecter l’éthique. – L’un des rôles principaux des centres d’arbitrage est de veiller au respect du règlement d’arbitrage applicable au litige et, dans une autre mesure, des lois régissant la procédure arbitrale. Les centres doivent non seulement veiller au respect par les acteurs de la procédure arbitrale des différentes obligations envisagées précédemment, mais également les observer eux-mêmes. Ainsi, la responsabilité des centres d’arbitrage peut par exemple se voir engager pour le non respect du règlement de l’institution par ses salariés, par ses arbitres ou le centre lui-même[109].

46. Nomination éthique d’arbitres. – Les institutions d’arbitrage s’efforcent tout d’abord de vérifier la compétence et la disponibilité des arbitres qu’ils sont appelés à désigner ou à confirmer. Ils veillent aussi à la constitution d’un tribunal indépendant et impartial et vérifient ces différents aspects sur la base de déclarations que remplissent les arbitres après leur désignation. La diligence des arbitres, elle, peut être examinée par les centres au regard, notamment, de la qualité du travail accompli par les arbitres dans d’autres arbitrages. On le sait, cette question constitue encore le talon d’Achille du système arbitral: si la confiance placée dans de nombreux centres, aujourd’hui reconnus et réputés, n’est plus guère remise en question, il reste que les rapports entretenus entre certains centres et certains arbitres, qui se trouvent justement souvent nommés, de par leurs liens, actuels ou révolus, institutionnels ou plus ténus, continuent d’interpeller la communauté arbitrale[110]. L’effort de transparence dans ce domaine, déjà initié il y a quelques années, notamment par la CCI et la LCIA, mériterait d’être poussé plus loin encore, afin, là encore, de servir de modèle (ou d’exemple) éthique. De la même façon, la tâche de vérification de la disponibilité effective des arbitres à nommer, même si elle peut être délicate, semble aller dans cette direction. Sans parler de la nécessité d’un effort constant des centres pour diversifier et renouveler le corps arbitral tout en veillant à respecter, dans l’arbitrage aussi, la parité[111].

47. Confidentialité. – Les centres sont généralement guidés par un principe de neutralité et de confidentialité dans la gestion de la procédure arbitrale, ce qui les conduit, par exemple, à s’assurer que les parties disposent et ont accès aux mêmes informations.

Le respect de la confidentialité est également un paramètre important dans la mission qu’accomplit le centre d’arbitrage mais sa gestion n’est pas toujours des plus aisées sur un plan éthique. A cet égard, il est des questions qui peuvent se poser dans la pratique de certains centres qui n’appellent pas toujours une réponse unique ou claire. S’il peut par exemple sembler normal pour le centre qu’un de ses employés assiste aux audiences, est-ce nécessairement légitime ou conforme au principe de confidentialité de l’arbitrage ? Lorsque le centre agit dans la procédure comme simple greffe du tribunal, cette question se pose avec une plus grande acuité encore. D’une manière générale, cette présence semble pourtant souhaitable afin que le centre ait une vision plus approfondie et globale du litige et notamment du comportement des parties durant la procédure, sans oublier une meilleure évaluation de la qualité et du degré de difficulté du travail des arbitres en vue de la détermination de leurs honoraires. Même si elle est parfois ressentie comme une intrusion dans le processus arbitral, la présence à des audiences d’un représentant de l’institution, lequel reçoit généralement copie des correspondances échangées entre le tribunal et les parties ainsi que des mémoires écrits des parties, ne devrait pas remettre en cause le principe et l’obligation de confidentialité à laquelle sont tenus le centre et son personnel.

Les centres, en accord avec les tribunaux arbitraux, veillent également au respect des délais de procédure ou, à tout le moins, à la bonne progression du processus arbitral. C’est sans doute dans cette logique d’efficacité que pourrait s’inscrire la faculté d’un centre, nonobstant son exigence de neutralité, d’empêcher les manœuvres dilatoires de prospérer. C’est sans doute là le plus grand défi à venir, éthique et pratique, des centres d’arbitrage.

48. Une gestion éthique du coût de l’arbitrage. – Face aux exigences contemporaines accrues de transparence, les institutions arbitrales doivent aussi s’efforcer – et s’efforcent souvent – d’être prévisibles et claires dans la gestion des coûts de l’arbitrage, non seulement pour ce qui concerne les frais et honoraires des arbitres, mais aussi concernant les frais administratifs représentés par les services rendus par les centres à proprement parler. La responsabilité des centres peut en effet être engagée sur le fondement d’un manque de transparence relative aux coûts, à la qualification de certains frais[112].

Il est juste et utile, aussi bien sur le plan économique que sur celui de la prévisibilité juridique et de l’éthique, que la détermination et la répartition des frais et honoraires des arbitres soient régies par des règles précises et sur la base de critères objectifs, tels que le montant en litige, la complexité de l’affaire, le temps consacré par les arbitres, sans oublier de clarifier l’importance allouée à chacun de ces paramètres, tout en évitant que les enjeux financiers du litige n’occupent une part exagérée dans la détermination du coût de l’arbitrage. De ce point de vue, les centres sont de plus en plus invités à tenir également compte de la complexité des questions de droit, de la longueur et de la gestion difficile de l’arbitrage, et non pas seulement du montant demandé par telle ou telle partie. Et la discrétion dont jouissent certaines institutions arbitrales dans la détermination de ces frais en vertu de leur propre règlement, implique sans doute la nécessité d’une plus grande transparence sur ce point vis-à-vis des parties.

Un exemple vient illustrer le manque de transparence, parfois ressenti par les usagers, et la nécessité d’une plus grande exigence dans la gestion du coût de l’arbitrage[113]. Certains centres d’arbitrage demandent aux parties de verser en début de procédure une provision parfois importante pour ce qui concerne les frais d’arbitrage, un montant pouvant atteindre parfois plusieurs centaines de milliers de dollars et calculé notamment sur la base du montant en litige et des frais prévisibles des arbitres. Ces sommes sont souvent placées, en attente de règlement, sur un compte bancaire qui produit des intérêts, dont le montant peut être significatif au regard de la durée de l’arbitrage. Quid alors du bénéficiaire final des intérêts ainsi générés par ces provisions ? Les parties, les arbitres ou le centre d’arbitrage ? Certains centres d’arbitrage prévoient expressément dans leur règlement que les intérêts des provisions reviennent au centre, tandis que d’autres restent silencieux sur la question[114]. Il convient alors que ce silence soit remplacé par une pratique mieux encadrée.

49. Diffusion d’une conception de l’arbitrage. – Enfin, les institutions arbitrales peuvent avoir également pour mission de promouvoir une certaine pratique, conforme à certaines exigences éthiques. Ceci peut être fait par le biais de dispositions dans leur règlement d’arbitrage[115] et/ou l’élaboration de règles de comportement spécifiques en vue par exemple d’une gestion plus efficace de la procédure, laquelle peut contribuer d’ailleurs à une plus grande éthique dans l’arbitrage[116]. La responsabilité éthique des centres se manifeste enfin par le biais de l’organisation de conférences de qualité, notamment par l’implication d’arbitres de renom à l’image des standards promus par le centre, et par des formations destinées aux professionnels et usagers de l’arbitrage. La diffusion par les institutions arbitrales d’une « culture de l’arbitrage », intégrant justement toutes les cultures juridiques et répondant aux plus hauts standards et à des exigences de qualité, participe sans conteste à promouvoir une conduite éthique des arbitrages.

3-3. Les juges étatiques : les acteurs ultimes du contrôle arbitral

50. Un contrôle accru. – Les juges étatiques sont parfois occultés, lorsqu’il s’agit de peindre le paysage arbitral d’un pays et l’efficacité dans son système arbitral. Pourtant, l’institution judiciaire en est à la fois un acteur incontournable pour la pérennité d’un régime arbitral, par le biais notamment d’une politique jurisprudentielle qui se veut plus ou moins favorable vis-à-vis de l’arbitrage, mais aussi le gardien d’une certaine philosophie de l’arbitrage, plus ou moins libérale, à laquelle s’adossent des exigences éthiques qu’il insuffle dans telle ou telle direction. Le volume considérable des arrêts rendus ces dernières années en matière d’indépendance et d’impartialité illustre bien la prise en compte par le juge de la dimension éthique de l’arbitrage[117]. Il est d’ailleurs probable que l’entrée en vigueur du décret n°2011-48 du 13 janvier 2011, instaurant un devoir – légal – de loyauté, dans le nouveau droit français de l’arbitrage contribue à accentuer le contrôle de la dimension éthique de l’arbitrage et notamment du comportement des arbitres, des parties et de leurs conseils.

Juges d’appui ou du contrôle des décisions prises par les tribunaux arbitraux, les magistrats ont une responsabilité particulière dans ce domaine en ce qu’ils ont pour rôle de veiller à ce que la procédure arbitrale soit conduite de manière impartiale, loyale, contradictoire et dans le respect de la mission arbitrale confiée par les parties[118], sans, en principe, empiéter sur le fond du litige. Par dessus tout, ils s’assurent que l’arbitrage n’est pas manipulé, dévoyé, instrumentalisé voire frauduleux[119].

51. Un autocontrôle ? – Par ailleurs, les juges ont eux-mêmes certains devoirs en tant qu’acteurs du processus arbitral. Ces derniers ne vivent pas en vase clos et peuvent être amenés, de par leur participation à des conférences, leur liens avec certaines institutions ou même du fait de leur responsabilité « publique », à être en contact avec d’autres acteurs de l’arbitrage, ou encore avec leurs homologues rattachés à des Etats étrangers, eux-mêmes usagers de l’arbitrage international. Ces liens, qui peuvent être particulièrement ténus mais tout aussi réels, font généralement l’objet d’une certaine retenue de la part des juges eux-mêmes qui s’efforcent de les contenir dans un cadre strictement scientifique, mais ils sont, à l’heure d’une exigence de transparence accrue, de plus en plus scrutés par les autres acteurs de l’arbitrage international.

3-4. Les tiers financeurs : tiers mais éthiquement responsables

52. Nouvel acteur, nouvelle responsabilité. – Acteur nouveau et émergent dans la pratique de l’arbitrage international, il est symptomatique de constater que la quantité impressionnante d’écrits, actes et autres rapports récemment publiés[120] à ce sujet visent aussi à combler un vide juridique certain, lequel n’était pas sans poser de véritables questionnements, entre autre des difficultés d’ordre éthique.

Le financement de l’arbitrage par un tiers consiste à obtenir d’un tiers, qui n’est en principe pas partie à l’arbitrage, le financement nécessaire pour couvrir les frais de la procédure, en ce compris les frais d’avocats. En contrepartie, le tiers sera rémunéré en percevant tout ou partie de la somme correspondant aux dommages-intérêts qui seront éventuellement alloués à la partie financée[121]. Le financement peut être obtenu de tiers qui entendent réaliser un profit ou qui agissent de façon désintéressée, ou bien par les conseils des parties eux-mêmes lorsque leurs règles déontologiques le permettent.

53. Il est alors conseillé[122] que le contrat de financement conclu entre le tiers et la partie prévoit les droits et obligations de chacun dans la gestion de la procédure, afin de prévenir un « conflit dans le conflit » et donc des situations où les questions d’ordre juridique et éthique se poseront cumulativement. Car c’est bien l’objet spécifique de ce contrat – la spéculation par un tiers qui cherche à dégager un profit sur la base d’un aléa contentieux sur lequel il n’est pas censé avoir de prise – qui peut être la source de risques de dérive éthique. D’autant qu’à ce jour, du moins en France, il n’existe pas de corps professionnel regroupant de tels fonds ou tiers financeurs, avec des règles déontologiques propres, susceptibles de prévenir ou de contenir ces risques aussi bien éthiques que juridiques[123].

En effet, le tiers qui apporte les fonds nécessaires au financement de la procédure sera souvent tenté de s’immiscer dans la direction de la procédure – et ce, dès son commencement, en voulant par exemple peser sur la constitution du tribunal arbitral –  afin d’assurer la rentabilité de son investissement, au risque de nuire aux intérêts de la partie financée. Les conseils peuvent ainsi se trouver face à un conflit entre la défense des intérêts du tiers financeur et ceux de son client, notamment au regard d’options procédurales qui se présentent. C’est ainsi qu’un dilemme se présentera, entre la partie financée et le tiers financeur, sur l’opportunité de transiger ou non, à un moment de l’arbitrage. Sur un plan éthique, cette opportunité devra être appréciée par le financeur, certes à la lumière des termes du contrat de financement, mais aussi au regard de la rentabilité de son investissement, c’est-à-dire en prenant compte des intérêts de la partie financée qui ne doit pas se retrouver in fine lésée.

D’autres obligations contractuelles, découlant de l’éthique, pourront également être envisagées, comme le respect de la confidentialité de la procédure, mais aussi l’obligation éventuelle de révéler au tribunal arbitral l’existence d’un tel financement, notamment afin de prévenir toute situation de conflit d’intérêts et un problème de défaut d’indépendance d’un membre du tribunal.

 Mai 2014
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[1]* Docteur en droit, Avocat aux Barreaux de Beyrouth, New York et Paris, Associé, Cabinet Ginestié Magellan Paley-Vincent. Vice-Président du Conseil scientifique du Centre de Médiation et d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Franco-Arabe. L’auteur tient à remercier M. Raphaël Monégier du Sorbier, Avocat, LL.M., ainsi que Melle Carine Lerenard, pour leur aide et leur contribution à la rédaction du présent article ainsi que M. Patrice Mouchon, Président du Centre de Médiation et d’Arbitrage de la CCFA.
[2] Il n’y a qu’à citer à ce sujet les nombreux évènements et ouvrages qui ont émaillé ces dernières années : « L’éthique dans l’arbitrage », Actes du Colloque Francarbi, 9 décembre 2011, sous la direction de G. Keutgen, Bruylant, Bruxelles,  2012 ; « Advocates’ Duties in International Arbitration : Has the time come for a set of norms ? », 17th IBA Annual International Arbitration Day, 13-14 février 2014, Paris ; « Congrès Européen Ethique et Gouvernance », 17-18 mars 2014, OCDE, Paris ; « L’arbitrage éthique », Conférence CCFA – Ordre des Avocats de Paris, 27 juin 2014 ; v. aussi : C. Rogers, « Ethics in International Arbitration », Oxford University Press, 2014.
[3] V. à ce sujet l’ouvrage inédit sur le « monde de l’arbitrage » : Ugo Draetta, « Behind the Scenes in International Arbitration », Jurisnet, 2011.
[4] TGI Paris (ord. réf.), 19 décembre 1990, inédit, cité par. Ph. Fouchard, in obs., Rev. arb. 1996, p. 325, spéc. n°33. Dans cette affaire, le co-arbitre désigné par une partie avait eu une relation durable (8 ans), aussi professionnelle qu’intime, 34 ans plus tôt, avec la dirigeante de la partie adverse. Ayant manifestement gardé rancune à l’égard de son ancien amant, cette gérante a agi en récusation contre lui, en sa qualité de co-arbitre lequel n’avait pas révélé l’existence de cette ancienne relation (semble-t-il passionnelle). Bien que l’ordonnance ait rejeté, comme tardive, la demande en récusation, elle a admis qu’ « a existé incontestablement […] une situation d’amitié notoire et de conseil qui a pu faire naître des sentiments d’inimitié ou de ressentiment après leur rupture » ; on peut également citer (cf. Th. Clay, « L’arbitre », Dalloz, 2001, n°417) une affaire « de mœurs », puisque relayée dans la presse outre-Atlantique (Wall Street Journal, 14 février 1990, p. 1), dans laquelle une sentence arbitrale condamnant une partie à verser 92 millions de dollars avait été rendue par un tribunal arbitral dont le président s’est avéré – enquête et enregistrement vidéo à l’appui – avoir partagé des nuits, ayant émaillé l’audience arbitrale, dans la suite d’un prestigieux hôtel avec l’avocate de la partie qui avait remporté l’arbitrage.
[5] V. notamment la Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, adoptée suite notamment au scandale « Cahuzac », du nom de cet ex-ministre du budget du Gouvernement Ayrault poursuivi pour fraude fiscale. Cette loi a eu notamment pour effet d’instituer des obligations de déclarations de patrimoine et d’intérêts à la charge de responsables politiques et de titulaires d’emplois publics, et d’en confier le contrôle à une nouvelle autorité administrative indépendante, la « Haute autorité pour la transparence de la vie publique ».
[6] CA Paris, 11 mai 2010, Société Thalès SA et autres c/ La Marine de la République de Chine (Taïwan), Rev. arb., 2010, p. 669.
[7] J.-B. Racine, « L’arbitre face aux pratiques illicites du commerce international », LPA, 8 octobre 2012, n°201, p. 8.
[8] Que l’on pense au nombre grandissant de litiges en rapport avec la finance islamique, ou même aux litiges familiaux que le droit musulman, notamment, admet comme étant arbitrables et qui, effectivement, vont à l’arbitrage.
[9] V. à propos d’un arbitrage « frauduleux » : CA Paris, 9 avr. 2009, RG 07/17769, Maître MS Van Meensel et a. c/ Allied Petrochemical Trading and Distribution LC., inédit, commenté par E. Loquin, Cah. arb., 1er juillet 2010, n°3, p. 889 ; v. aussi sur cet arrêt : Petites Affiches, 23 février 2011, n°38, p. 10.
[10] V. le dossier : « Les risques juridiques liés à la mise en place d’une démarche éthique dans l’entreprise », Cah. dr. ent., n°4, juillet août 2012, p. 9.
[11] E. Daoud et alii, « Gérer le risque pénal en entreprise », Lamy, Axe droit, 2011.
[12] J. El Ahdab, « La gestion des risques arbitraux par les parties », Revue générale du droit des assurances, No.1 – 2012, p. 234.
[13] B. Oppetit, « Philosophie de l’arbitrage commercial international », Clunet, 1993, p. 811.
[14] J. Levy-Morelle, « L’éthique des parties », in L’éthique dans l’arbitrage, Actes du Colloque Francarbi, 9 décembre 2011, sous la direction de G. Keutgen, Bruylant, Bruxelles,  2012, p. 81, spéc. p. 88.
[15] V. l’excellent ouvrage d’André Comte-Sponville, « Petit Traité des Grandes Vertus », PUF, 1995, qui enseigne cependant qu’il est préférable de faire l’éloge et la pédagogie de certaines vertus, plutôt que de condamner les vices et autres penchants auxquels nous serions tous soumis et pour lesquels nous tendrions tous à culpabiliser : c’est cette morale positive qui peut permettre à chacun d’acquérir tout à la fois force et douceur, de devenir son propre maître et, in fine, son unique et seul juge.
[16] V. plus généralement : D. de Andrade Lévy, « L’abus dans l’ordre juridique arbitral », th. Paris II Panthéon-Assas, sous la direction de Ch. Larroumet, soutenue le 20 mars 2013, à paraître.
[17] Il n’y a qu’à constater les va-et-vient des sociétés occidentales autour de la dépénalisation (et de la « repénalisation ») de certains comportements ou actes jugés « amoraux » (on pense en premier lieu à l’avortement, mais, au-delà, à certains autres domaines de la société, comme le droit du travail ou le droit des sociétés).
[18] J. Carbonnier, « Droit et passion du droit sous la V° République », Flammarion, 1996, spéc. p. 114.
[19] J. Carbonnier, op. cit., spéc. p. 115.
[20] Il est vrai cependant qu’il n’y a plus guère de domaine qui ne soit pas aujourd’hui réglementé ou « envahi » par la règle juridique. C’est ainsi que la déontologie des avocats, autrefois régie par la profession elle-même, est désormais réglementée et c’est bien une loi (n°71-113 du 31 décembre 1971) – et des décrets de 1991 et 2005 – qui en est devenue la source première.
[21] Au sujet de la prolifération des « guerrilla tactics », ou stratégies de guerre de tranchée, voir notamment « Legal professionalism in jeopardy : the need for a legitimate and enforceable system of ethics rules in International Arbitration », publié le 19 mars 2014, disponible sur : http://albertsarbitrationblog.blogspot.fr/2014/03/legal-professionalism-in-jeopardy-need.html ; voir aussi et surtout : Horvath and Wilske, « Guerrilla Tactics in International Arbitration », Kluwer Law International, 2013.
[22] On rappelle que le droit des obligations déclare encore nulles les conventions contraires aux bonnes mœurs ou dont la cause est immorale (article 1133 du Code civil).
[23] C’est bien évidemment du droit canonique dont s’inspire le droit civil du mariage, où le devoir de fidélité, pourtant encore consacré dans le Code civil (article 212), n’est plus que très rarement sanctionné en matière de divorce. Il y aurait beaucoup à dire dans ce domaine sur la rupture entre droit et religion, notamment à l’aune de la réforme de l’article 144 du Code civil (plus connue sous le nom de « mariage pour tous »).
[24] V. F.-X. Train, « L’arbitre, prestataire de service juridictionnel », RLDC, 2006/26, p. 14.
[25] Que l’on pense aux « séances d’entretien » (interviews disent les anglais) entre plusieurs candidats susceptibles d’être nommés arbitres et que certains ont qualifié de « grand oral » ou de « beauty contests » (Ch. Jarrosson, « Ethique, déontologie et normes juridiques dans l’arbitrage », in L’éthique dans l’arbitrage, préc., p. 1, spéc. n°31). Il faut dire que même ce domaine semble désormais codifié, avec plus ou moins d’hypocrisie ; v. à ce sujet par ex. : le « Practice Guideline 16 : The Interviewing of Prospective Arbitrators » du Chartered Institute publié en avril 2011.
[26] Th. Clay, « L’arbitre est-il un être normal ? », Conférence organisée par le Comité Français de l’Arbitrage, 4 avril 2013, à paraître à la Rev. arb.
[27] P. Tercier, « L’éthique des arbitres », in L’éthique dans l’arbitrage, préc., pp. 19-20.
[28] On relèvera ici le désormais remarquable (et relativement unique) article 1464 alinéa 3 du Code de procédure civile français qui consacre désormais une obligation – légale – de loyauté aussi bien à la charge des arbitres que des parties.
[29] Ces règles peuvent être des normes recommandées ou encore dites de « soft law », prévues dans des codes ou des lignes directrices d’initiative privée, édictées par des associations professionnelles ou des institutions d’arbitrage, sans valeur contraignante a priori, sauf accord contraire des parties. En 2008, le Comité d’arbitrage de l’International Bar Association (IBA) a constitué un groupe de travail sur l’éthique des conseils dans l’arbitrage international, avec pour mission d’identifier et d’étudier les différences entre les diverses règles éthiques, culturelles et disciplinaires auxquelles peuvent être soumis les conseils dans le cadre des procédures arbitrales. En vue d’une étude plus approfondie du sujet, le groupe de travail a mis en place un sondage auprès de tous les praticiens en 2010. Sur la base du projet préparé par le groupe de travail et revu par les membres du Comité d’arbitrage, le Conseil de l’IBA a adopté le 25 mai 2013 des lignes directrices sur la représentation des parties dans l’arbitrage international : « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », v. infra n°34.
[30] « Tant vaut l’arbitre, tant vaut l’arbitrage » dit l’adage.
[31] Article 1456 du Code de procédure civile français et plus généralement la loi sur l’arbitrage des Etats qui ont adopté la Loi-type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international de 1985 (voir article 12 de la loi CNUDCI).
[32] V. notamment les articles 14(1) et 40(2) de la Convention CIRDI ; Article 11 du Règlement CNUDCI (2010) ; Article 11(1) du Règlement d’arbitrage CCI (2012) ; Article 4 du Règlement d’arbitrage AFA ; Article 5 du Règlement d’arbitrage LCIA ; Articles R-13 et R-17 des « Commercial Arbitration Rules and Mediation Procedures » de l’AAA ;  Article 10 du Règlement d’arbitrage 2013 SIAC ; Article 11 du Règlement d’arbitrage HKIAC.
[33] Peter Cresswell, « Enhancing standards », The Resolver, February 2014.
[34] Article 1456 al. 2 du Code de procédure civile français.
[35] Pour des développements plus en profondeur sur la question de l’impartialité et sa délicate gestion, notamment dans les arbitrages dits CIRDI, v. N. G. Ziadé, « L’éthique et l’arbitrage en matière d’investissement : grandeur et misère de la fonction d’arbitre ? », Rev. arb., 2012, pp. 307-332.
[36] Article 2.2 de la Charte éthique des Centres membres de la Fédération des Centres d’Arbitrage.
[37] Il faut dire aussi que certains règlements semblaient même admettre cette dualité ; v. par ex. Rule 15 du précédent Règlement AAA applicable aux litiges internes aux EU, qui utilisait le mot « neutral » uniquement au sujet du président du tribunal et non des arbitres nommés par les parties.
[38] V. notamment l’article 6 du Règlement d’arbitrage CIRDI, l’article 11 du Règlement d’arbitrage CNUDCI (2010) et l’article 11 du Règlement d’arbitrage CCI (2012).
[39] Elaborée par l’anglais J. Bentham, « Une introduction au principe de morale et de législation », 1789.
[40] S. Guinchard et alii, « Droit processuel, Droit commun et droit comparé du procès équitable », Précis Dalloz, 4e éd., 2006, n°608 in fine : « l’honnêteté de ceux qui proposent leurs services [les arbitres] est la condition de leur réussite sur le marché ; ici, […] on est honnête par intérêt ».
[41] Dont l’un des principaux défenseurs fût H. Bergson, « Les deux sources de la morale et de la religion », 1932.
[42] Si, selon cette analyse, l’émotion ne crée pas seulement des valeurs, mais permet aussi de les diffuser, il ne fait aucun doute qu’il existe un sentiment profond, plus ou moins motivé parfois par une forme d’ego, que l’arbitrage constitue une justice transnationale unique et que certains arbitres endossent une responsabilité morale sans précédent et incarnent dès lors, aux yeux du reste de la communauté arbitrale, une exigence morale supérieure. Réalité ou ambition ?
[43] P. Mayer, « Do Counsel owe a duty of honesty in international arbitration ? To whom is it owed ?», Communication donnée au 17th Annual IBA International Arbitration Day, 14 février 2014.
[44] Expression qui devrait bientôt disparaître du Code civil français remplacée par le terme « raisonnablement » : Projet de loi pour l’égalité entre les hommes et les femmes, n°717, amendement n°249 du 24 janvier 2014 de l’Assemblée nationale.
[45] Avec cette question : de quel intérêt général s’agit-il ici ? Celui de la communauté arbitrale à laquelle l’arbitre appartient, celui de la justice à laquelle il contribue en accomplissant sa mission ou celui des parties et donc du litige particulier, et finalement privé, qu’il doit trancher ?
[46] V. supra, n°14.
[47] On a longtemps considéré, en sciences politiques et même en droit constitutionnel, que l’acte politique par excellence, notamment dans une démocratie parlementaire, était, pour un ministre mis en cause au sein de son gouvernement, la démission car celle-ci incarne – ou incarnait – le degré ultime de la responsabilité politique.
[48] V. infra, n°30.
[49] Ainsi aux Etats-Unis, pour les arbitrages internes, et à la différence de l’arbitrage international, il semble admis que l’arbitre puisse discuter stratégie sur des points cruciaux avec la partie qui l’a désigné ; v. C. A. Rogers, « The Ethics of Advocacy in International Arbitration », 25 février 2010, Penn State Legal Studies Research Paper No. 18-2010, disponible en ligne sur : http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1559012
[50] Article 11(2) du Règlement d’arbitrage CCI (2012) ; Article 5.3 du Règlement d’arbitrage LCIA ; Article 11.4 du Règlement d’arbitrage HKIAC.
[51] On pense bien sûr à l’affaire Jivraj, et à la possibilité de choisir un arbitre à raison de sa religion, laquelle a donné lieu à une décision de la Cour Suprême anglaise (Jivraj v Hashwani [2010] UKSC 40 (21 juillet 2011), Rev. arb., 2011, p. 1007, n. J.-B. Racine), et fait l’objet d’un recours devant la Commission européenne sur le fondement de l’article 258 TFUE.
[52] De même qu’on peut comprendre le souhait des parties d’avoir par exemple un président, totalement neutre, au risque d’être étranger au droit applicable, on peut également regretter que l’issue de certaines sentences soit, a posteriori, critiquée, justement du fait de la méconnaissance, voire l’incompréhension, non pas par un membre, mais par tous les membres du tribunal vis-à-vis des spécificités du droit applicable.
[53] V. Civ. 1ère, 6 déc. 2005, n°03-13.116 ; v. cependant : Ch. Jarrosson, note sous Civ. 1ère, 17 novembre 2010, Rev. arb., 2011, pp. 945 – 949, spéc. p. 948.
[54] Peter Cresswell, « Enhancing standards », The Resolver, February 2014 : « No arbitrator is so eminent that parties should have to wait for more than three months for an award […] Arbitrators, when giving directions as to the timetable, should include a deadline for the delivery of the award ».
[55] V. C. Partasides, N. Bassiri et al., « Arbitral Secretaries » in Albert Jan van den Berg ; « International Arbitration: The Coming of a New Age ? », ICCA Congress Series, Volume 17, Kluwer Law International, 2013, pp. 327 – 368, spéc. p. 331 ; v. aussi et plus récemment encore : « Young ICCA Guide on Arbitral Secretaries », publié le 15 avril 2014 et disponible en ligne.
[56] Sur la qualification juridique d’une sentence d’accord-parties de transaction, et non de sentence, v. Civ. 1ère, 14 nov. 2012, Rev. arb., 2013, p. 138, n. J. Billemont ; et sur une sentence d’accord-parties frauduleuse, v. Cour d’appel de Paris, 9 avril 2009, Viva Chemical v. APTD, Petroval, Rev. arb., 2009, p. 436, n. Bertrand Derains et Yves Derains.
[57] V. supra, n°15.
[58] J-B. Racine, « La sentence d’incompétence », Rev. arb. 2010, p. 729.
[59] En rejetant l’existence du principe compétence-investiture et en déniant à l’arbitre la faculté de statuer sur la validité du contrat d’arbitre, la Cour de cassation a refusé d’admettre la possibilité pour l’arbitre d’être dans un même temps juge et partie de son propre contrat d’arbitre : Civ. 1ère, 28 mars 2013, Elf Neftegaz c. Mr. Z., commenté par Bertrand Derains, « A contribution by the ITA Board of Reporters », Kluwer Law International.
[60] V. supra, n°29, 31 et 32.
[61] Robert Pfeiffer and Stephan Wilske, « The Emergence of the Guerrilla Tactics Phenomenom in International Arbitration », in Günther J. Horvath and Stephan Wilske, Guerrilla tactics in International Arbitration, International Arbitration Law Library, Chapter 1, §1.03, Volume 28, Kluwer Law International, 2013, p. 16.
[62] V. par ex. la décision rendue le 31 janvier 2014 par la High Court anglaise, dans laquelle elle a ordonné une injonction interdisant un cabinet de participer à une procédure mettant en cause trois hommes d’affaires ukrainiens en raison de conflits d’intérêts, v. « English High Court injuncts international law firm from acting in US$ 2 billion dispute », http://www.bailii.org/ew/cases/EWHC/Comm/2014/94.html.
[63] Article 18.6 du Projet de nouveau règlement d’arbitrage de la LCIA. ; v. aussi à ce sujet Alan Scott Rau, « Arbitrators without Powers ? Disqualifying Counsel in Arbitral Proceedings », 17th Annual IBA International Arbitration Day, Paris, 14 février 2014.
[64] Certains règlements prévoient même, sauf accord contraire des parties, que les conseils ne pourront être présents lors des audiences (v. par ex. Règlement GAFTA No. 125 (2012), art. 4.8).
[65] V. à ce sujet le récent Guide, lancé le 6 juin 2014 par la CCI: « Effective Management of Arbitration, Guide for In-House Counsel and Other Party Representatives ».
[66] Pour un exposé du cadre éthique, déontologique et juridique relatif au comportement des conseils, notamment méditerranéens, dans un arbitrage, v. J. El Ahdab, « Quelles règles du jeu pour les conseils dans un arbitrage méditerranéen ? », in Vers une lex mediterranea de l’arbitrage dans les pays de l’UPM, Colloque sous la dir. d’ O. Filali et L. Chadly, Actes à paraitre chez Pedone.
[67] V. notamment au sujet de la notion de « courant d’affaires » entre un arbitre et le conseil d’une partie : Civ., 1ère, 20 mars 2013.
[68] V. par ex. article 6 des « IBA Guidelines on Party representation in International Arbitration » : « Unless agreed otherwise by the Parties, and subject to the exceptions below, a Party Representative should not engage in any Ex Parte Communications with an Arbitrator concerning the arbitration ».
[69] V. pour une illustration jurisprudentielle : Saint-Denis-de-la-Réunion, 12 nov. 2012, n° 10/02177, SOGECOR, cité in Th. Clay, « Panorama – Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges », Recueil Dalloz, 27 décembre 2012, n° 44, spéc. p. 3000.
[70] A. Mourre, E. Zuleta, « The IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », Dispute Resolution International, V.7, n°2, November 2013, p. 138.
[71] V. infra, n° 35.
[72] V. Himpurna v. Indonesia (2000), 15 Mealey’s Int’l Arb. Rep. (Feb.) ; v. plus généralement : Abba Kolo, « Witness Intimidation, Tampering & Other Related Abuses of Process in Investment Arbitration : Possible Remedies to the Arbitral Tribunal », Arb. Int’l, Vol. 26, No. 1, p. 43, spéc. p. 50.
[73] V. toutefois les montants parfois significatifs accordés par les tribunaux français, au tire de l’article 700 du CPC, lorsqu’ils rejettent un recours en annulation jugé abusif ou encore lorsqu’ils jugent abusive une demande refus d’exéquatur  (v. par ex. : Paris, 17 fév. 2011, Gouvernement du Pakistan c./ société Dallah, Rev. arb. 2012, p. 369, note F.-X. Train, qui a condamné à 100.000€, sur le fondement de l’article 700 du CPC, l’Etat pakistanais qui s’opposait à la reconnaissance de la sentence arbitrale).
[74] V. à ce sujet : Robert Pfeiffer, Stephan Wilske, « The Emergence of the Guerrilla Tactics Phenomenom in International Arbitration », in Günther J. Horvath and Stephan Wilske, Guerrilla tactics in International Arbitration, préc., p. 16.
[75] Ce qui vaut également pour les conseils : v. infra, n°33 s.
[76] Peter Cresswell, « Enhancing standards », The Resolver, February 2014.
[77] Pierre Mayer, « Do Counsel owe a duty of honesty in international arbitration ? To whom is it owed ? », préc., spéc. p. 2.
[78] V. par ex. pour les avocats new-yorkais, le « New York Rules of Professional Conduct » (version au 1er avril 2009) qui définit au départ (« Rule 1.0 : Terminology » ; (w)) le terme « Tribunal » comme englobant aussi bien un juge qu’un arbitre.
[79] V. à ce sujet : Dictionnaire de la culture juridique, par D. Alland et St. Rials, « V° Déontologie », 2003, Lamy PUF.
[80] Terme repris dans la loi, à propos du serment d’avocat (art. 3, al. 2 de la loi du 31 déc. 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) et le règlement intérieur national (art. 1.3, al.2).
[81] Pour un exemple d’arbitrage international entre un client et son conseil à propos du paiement d’un honoraire de résultat, v. : CA Paris, 10 juillet 1992, Rev. arb. 1992, p. 609, n. Ph. Leboulanger; D. 1992. p. 459, n. Ch. Jarrosson.
[82] Pierre Mayer, op. cit.: « Such rules may differ from one country to another […] There would obviously be a risk of imbalance, the rules of the game not being the same on both sides ».
[83] V. not. : A. Mourre, E. Zuleta, « The IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », Dispute Resolution International, V.7, n°2, November 2013, pp. 139-142.
[84] M. Schneider, « President’s Message: Yet another opportunity to waste time and money on procedural smirkishes : the IBA Guidelines on Party Representation », Bull. ASA, Vol. 31, n°3, 2013, p. 500 : « Regulating the conduct of party representatives as the IBA now has done is the wrong answer and one can only hope the that IBA Guidelines on Party Representation quickly fall into oblivion, or better, never are applied »; v. aussi les critiques entendues à l’occasion et à la fin du 17th Annual IBA International Arbitration Day, 14 février 2014,  « The IBA Guidelines on Party Representation : the right step or a step too far ? A debate » , avec les interventions notamment de Doak Bishop, Emmanuel Gaillard, Toby Landau, Michael E Schneider.
[85] Gisele Stephens-Chu, Julie Spinelli, « The Gathering and Taking of Evidence Under the IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », Dispute Resolution International, Vol.8 n°1, May 2014, pp. 37-50, spéc. p. 49.
[86] V. notamment le préambule des « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », dans lequel il est dit que les lignes directrices « are inspired by the principle that party representatives should act with integrity and honesty and should not engage in activities designed to produce unnecessary delay or expense, including tactics aimed at obstructing the arbitration proceedings ».
[87] Art. 3, al. 2 du Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat.
[88] M.N. Alrashid, J. Wessel & J. Laird, « Impact of Third Party Funding on Privilege in Litigation and International Arbitration », Dispute Resolution International, Vol. 6, n°2, p. 102.
[89] Sous réserve de requalification éventuelle du tiers financeur, dévoilé, en partie.
[90] Ainsi, lors de l’ « audit juridique » du dossier par le fonds-tiers, si l’avocat doit fournir un avis à ce dernier sur les chances de succès du dossier, il ne saurait dissimuler, même à la demande de son client, certains aspects du litige qui seraient contraires aux intérêts de ce client. On pourrait également penser que l’avocat devrait conseiller au tiers-financeur, lors de la négociation du contrat de financement, de se faire assister par un conseil.
[91] Si cette obligation est encore et parfois discutée, il serait sans doute recommandable que le conseil de la partie financée avertisse les arbitres de la présence d’un tiers financeur.
[92] Si toutefois le tiers-financeur n’est pas lui-même assisté d’un conseil.
[93] L. Weiller, « Activités du Comité Français de l’Arbitrage : compte rendu de l’atelier de pratique arbitrale du 17 mai 2011 sur l’audition des témoins dans l’arbitrage », Rev. arb. 2011, pp. 864-870.
[94] Alors qu’aux Etats-Unis dans la plupart des Etats, le « coaching » des témoins est une exigence qui s’impose aux conseils, notamment dans la perspective d’une « cross-examination » du conseil de la partie adverse, la même pratique peut être considérée comme une faute déontologique en Angleterre et au Pays de Galle, où l’on peut seulement familiariser le témoin avec le déroulement de son audition et lui donner des conseils d’ordre général. V. M. Feutrill et N. Rubins, « La préparation des preuves expertales en arbitrage commercial international : aspects pratiques », RDAI, n°3, 2009, p.307, spéc. p. 319, et B. Rudin, B. Hutchings, « England & the US : Contrasts In Witness Preparation Rules », The New York Professional Responsability Report (NYPRR), mars 2006.
[95] Art. 199 et s. du Code de procédure civile français.
[96] En réalité, cette décision vient d’abord du contentieux déontologique, lui-même résultant d’un arbitrage international opposant des parties représentées par des conseils parisiens, dont l’un a mis en cause le respect des règles déontologiques par la pratique de la préparation de témoins. Dans ce cas, on peut dire que la bataille éthique fût utilisée dans le prolongement du contentieux arbitral.
[97] Par le Conseil de l’ordre du Barreau de Paris le 26 février 2008.
[98] S’agissant de la préparation des témoins et des experts, les « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration » prévoient notamment que les conseils peuvent assister les témoins et les experts dans la préparation de leur témoignage, ou de leur rapport (article 20), tout en s’assurant que le témoignage, ou le rapport, soit fidèle au récit du témoin (article 21), ou à l’analyse et à l’opinion de l’expert (article 22). Par ailleurs, les conseils ne doivent pas inviter ou encourager les témoins à donner de faux témoignages (article 23).
[99] V. par ex. Rule 3.3. du « New York Rules of Professional Conduct » ou encore l’Article 608 (e) du « Bar Code of Conduct » anglais applicable aux barristers.
[100] S’agissant de la production de documents, les « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration » prévoient notamment que les conseils doivent informer leur client de la nécessité de préserver, dans la mesure du possible, tout document potentiellement pertinent dans le cadre de l’arbitrage (article 12). Par ailleurs, les conseils doivent conseiller et assister leur client dans la prise de toute mesure raisonnable pour s’assurer, que le client effectue une recherche raisonnable des documents demandés ou qu’il souhaite produire, et que tous les documents non confidentiels et pertinents soient produits (article 15). A noter également que les conseils ne doivent pas supprimer ou dissimuler, ou conseiller à leur client de supprimer ou dissimuler, entre autres, des documents qui ont été demandés par une autre partie (article 16).
[101] V. en ce sens : J. El Ahdab, R. Monégier du Sorbier, « La préparation des témoins par les avocats dans l’arbitrage international : to be or not to be ou ‘l’antithèse française’ », Bull. de la Cour européenne d’arbitrage, 02/2012, p. 8, spéc. n°18 s.
[102] « The Gathering and Taking of Evidence under the IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration : Civil and Common Law Perspectives », G. Stephens-Chu, J. Spinelli, Dispute Resolution International, Vol.8, n°1, pp. 37-50.
[103] Par exemple, le préambule des « IBA Principles on Conduct for the Legal Profession 2011 » prévoit clairement que : « These International Principles are not intended to replace or limit a lawyer’s obligation under applicable laws or rules of professional conduct. » Dans des termes similaires, voir également le préambule et l’article 3 des « IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration ».
[104] V. M. Feutrill et N. Rubins, « La préparation des preuves expertales en arbitrage commercial international : aspects pratiques », préc., spé. p. 315.
[105] Dans la même logique, on pense à la pratique des articles « commandés » auprès de certains experts par certains conseils et ou certaines parties, en/par anticipation d’un futur arbitrage, afin de pouvoir ultérieurement s’y référer, comme une source que l’on présentera alors comme fiable et objective, le jour où la question technique devra effectivement se poser dans le cadre des débats arbitraux.
[106] Peter Cresswell, « Enhancing standards », The Resolver, February 2014: « Expert evidence should be the independent product of the expert uninfluenced by the pressures of arbitration. An expert should assist the tribunal by providing objective, unbiased opinion on matters within their expertise and they should not assume the role of an advocate ».
[107] Philipp Haberbeck, « How to find and Appoint Experts in International Commercial Arbitrations », Dispute Resolution International, Vol. 8, n°1, pp. 17-24, spéc. p. 23.
[108] Il faut signaler que, dans certains pays, comme aux Etats-Unis, il existe des principes (le « Work Product Doctrine ») qui protègent de toute intrusion ou obligation de production les communications faites entre une partie et son conseil et/ou expert en préparation d’un procès (CPLR 3101(a) dans l’Etat de New York et, au niveau fédéral, FRCP, art. 26).
[109] Emmanuel Jolivet, « La responsabilité des centres d’arbitrage et leur assurance », Revue générale du droit des assurances, 1er janvier 2012, n°2012-01, p. 26.
[110] Un cas caricatural est la nomination par le Président d’une Chambre de commerce de son épouse comme arbitre, v. : Emmanuel Jolivet, op. cit., spéc. p. 26.
[111] « Gender differences in Dispute Resolution Practice : Report on the ABA Section of Dispute Resolution Practice Snapshot Survey », by G. V. Brown, A. Kupfer Schneider, 31 January 2014, disponible sur: http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2390278.
[112] Emmanuel Jolivet, op. cit.,. spéc. p. 26.
[113] Sur le financement et l’utilisation des fonds des centres d’arbitrage, v. Michael W. Bühler, « Le financement des centres d’arbitrage, quelques réflexions », L’argent dans l’arbitrage, sous la dir. de Th. Clay et W. Ben Hamida, Lextenso Editions, 2013, pp. 51-62.
[114] Mickael W. Bühler, op. cit., spéc, p. 56.
[115] V. notamment, le Règlement d’arbitrage du Centre de Médiation et d’Arbitrage près la Chambre de Commerce Franco-Arabe qui promeut une égalité de traitement entre la culture de la partie arabe et celle de la partie française : « Le règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce franco-arabe a pour but d’offrir à toute personne physique ou morale, sans condition de nationalité, un mode de résolution des litiges par la voie de l’arbitrage qui repose sur la double culture franco-arabe de cette Chambre de commerce. Il s’agit de proposer un système reflétant cette double origine, ce qui se traduit par une composition paritaire des organes du Centre de médiation et d’arbitrage … » (préambule du Règlement) ; v. aussi l’article 37.5 du règlement d’arbitrage de la CCI (2012): « Lorsqu’il se prononce sur des frais, le tribunal arbitral peut tenir compte des circonstances qu’il estime pertinentes, y compris dans quelle mesure chacune des parties a conduit l’arbitrage avec célérité et efficacité en termes de coûts. » (à noter que cette allocation des coûts par le tribunal se fait sous la supervision de la Cour d’arbitrage de la CCI).
[116] V. notamment, le « Rapport de la Commission de l’arbitrage de la CCI Techniques pour maîtriser le temps et les coûts dans l’arbitrage », Publ. CCI n°843, 2007 ; de même la dernière version du projet de Règlement LCIA du 18 février 2014.
[117] V. en dernier lieu, Civ, 1ère, 10 octobre 2012, Rev. Arb., 2013, p. 130, note Ch. Jarrosson.
[118] Alan Scott Rau, « Arbitrators without Powers ? Disqualifying Counsel in Arbitral Proceedings », Communication donnée à l’occasion du 17ème Annual IBA International Arbitration Day, Paris, 14 février 2014.
[119] V. supra, n° 1.
[120] V.  notamment : Le « Code of Conduct for Litigation Funders » publié en novembre 2011 au Royaume-Uni ; v. aussi Lord Justice Jackson, « Third party funding or litigation funding », 6th lecture in the civil litigation costs review implementation programme, The Royal Courts of Justice, 23 november 2011.
[121] Maximin de Fontmichel, « Les sociétés de financement de procès dans le paysage juridique français », Revue des Sociétés, n° 5, mai 2012, p. 279 ; voir également, J. El Ahdab, « La gestion du risque arbitral par les parties », préc., spéc. n°31 et s.
[122] « Guide Pratique sur le financement de l’arbitrage par les tiers (Third Party Funding) », diffusé par ICC France début 2014.
[123] Contrairement, par exemple, au Royaume Uni : v. supra, n°52.